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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

ressait maintenant aux hommes. La révolution de février venait de détrôner Louis-Philippe. Bien que toutes ses sympathies de jeunesse l’attachassent au régime tombé, M. Fraque, « cédant aux sollicitations des conservateurs, et voulant répondre de l’ordre », était, de procureur du roi, devenu procureur de la République. Et il avait été élu lieutenant-colonel de la garde nationale. Dans la paisible ville de Noirfond, l’ordre ne fut nullement mis en question. Mais ce grand enfant, qui avait cessé d’être malheureux, eut l’occasion de jouer au soldat : toujours à cheval et en uniforme, donnant des ordres d’une voix brève, passant des revues avec le plus grand sérieux, commandant des promenades et reconnaissances militaires. On en rit d’abord, en se demandant où étaient passés l’éternelle cravate blanche et l’inévitable habit à boutons de métal. On finit parle prendre au sérieux ; les femmes lui trouvaient « l’air militaire » ; le peuple croyait à son libéralisme.

Pendant que M. Fraque triomphant acquérait ainsi la popularité, cette seconde jeunesse, madame Fraque se faisait oublier. De ses habitudes mondaines, elle n’avait conservé que celle des promenades en voiture. Elle aimait toujours se sentir rouler une heure ou deux, sur quelque grande route par les belles après-midi. Mais, en sortant de l’hôtel de Beaumont, en rentrant en ville, elle avait soin maintenant de tenir baissées les glaces de la portière. Les chevaux brûlaient le pavé, et les regards curieux ne par-