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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

M. Fraque, qui n’était pas sot, vit comme un autre dans le jeu de ce marquis qui était venu lui jeter ainsi sa fille unique à la tête. Il se promit bien de ne jamais mordre à l’hameçon conjugal. Mais la province offre si peu de distractions ! À quoi employer les longues soirées du premier hiver qu’il allait passer loin de « la capitale », et pourquoi ne pas profiter des distractions infinies d’une comédie intime où il s’agissait de jouer constamment au plus fin ? Son parti fut tout de suite pris. Il ne refusa aucune des avances de M. de Grandval, dîna chez lui tous les dimanches, y passa des soirées entières, lui rendit ses politesses en gibier, en petits cadeaux à mademoiselle Zoé qui pouvaient passer pour des cadeaux de fiancé. Il éprouvait un véritable charme, des chatouillements d’amour-propre inouïs, à se sentir ainsi l’objet des prévenances et des secrètes convoitises de ces deux êtres. Zoé était certes loin d’être jolie. Sous les maigreurs de son corps de pensionnaire, on devinait une âme sèche et positive, douée d’une volonté âpre, d’une fermeté revêche. Mais c’était une jeune fille, après tout. De race, d’intelligence, d’éducation, elle était supérieure aux femmes fréquentées jusque-là en sa vie de garçon. Enfin, ce qui rendait le plus piquant son plaisir, c’était la machiavélique pensée : « Je les trompe, ce marquis d’argent-court ruiné au jeu et son laideron de fille. » Il allait même jusqu’à se dire, le soir, en rentrant à l’hôtel de Beaumont : — « Je pourrais bien écrire à Paris, à mes amis, que pendant