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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

jouait en ce moment dans la salle de bal semblait très loin. On eût dit qu’il y avait soirée dans quelque maison voisine, tandis que le chalet de Moreau sommeillait, plongé dans sa paix habituelle. Et, je me mis à penser à des heures silencieuses passées en tête à tête avec Hélène, — avec Hélène arrachée de Paris le lendemain de la nuit terrible, et conduite par moi, presque malgré elle, dans un village perdu du fond de la Bretagne… « Cinq louis pour M. Jauffret ? — Je les tiens ! » répondit à demi-voix un des parieurs. Et les cartes neuves, données une à une, se détachaient avec des petits claquements secs… Là-bas, sur la plage, c’était le battement rythmique de la vague fondant contre la falaise sonore, puis s’égouttant écumeuse à travers les galets. Et, Hélène, dans une prostration, les yeux enfoncés et rougis par l’insomnie des nuits, passait des après-midi mornes ; quelque livre, qu’elle ne lisait pas, ouvert dans ses mains ; regardant un point fixe, là-bas, à l’horizon, sans rien penser et sans voir. Moi, un peu à l’écart, absorbé en apparence dans un journal, cherchant à me faire oublier, j’aurais voulu n’être qu’un chien pour me coucher à ses pieds et faire semblant de dormir, tout en guettant. Heureux quand même, roulant tout bas des projets que je me gardais bien de lui laisser soupçonner, j’attendais… Tout à coup, mes paupières se fermèrent. Je cessai d’entendre l’orchestre lointain, le glissement des cartes neuves. Je m’étais endormi !… Mais Hélène