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JOURNAL DE MONSIEUR MURE.

au garçon un commissionnaire. Tout à coup, je rappelai le garçon :

— Non, pas de commissionnaire !

Et je sortis du café. Sur le boulevard, indécis, je marchai quelque temps, ma lettre à la main. Qu’allais-je faire pendant vingt-quatre heures ? Attendre, me ronger d’impatience. Ne valait-il pas mieux en finir ? Voilà cinq ans que je désirais ce moment, que revoir Hélène était mon idée fixe. Un doux soleil d’automne égayait le trottoir, embellissait les femmes, ragaillardissait les promeneurs. Mon indécision cessa, et je déchirai la lettre.

— J’y vais de suite !

Et, doublant le pas, je pris la rue de la Chaussée d’Antin. J’entrai pourtant dans un bureau de tabac, où je choisis un cigare très cher et blond. Place de la Trinité, je regardai un moment le square. Des enfants jouaient sur le gravier des allées, tantôt à l’ombre des branches, tantôt dans du soleil. Autour d’eux, des oiseaux voletaient sur le gazon fraîchement arrosé. De jeunes mères, de l’âge d’Hélène, assises dans les fauteuils rustiques, causaient, brodaient. Alors, je vins fumer mon cigare dans le square, sur une chaise. La loueuse se présenta, me tendit le petit bulletin. En lui donnant ses deux sous, n’avais-je pas des tentations de lui parler d’Hélène, de la lui dépeindre, de lui demander si une dame comme ceci… comme cela… ne venait pas quelquefois avec une toute petite fille !… Non ! elle ne s’y était peut-être jamais arrêtée, Hélène,