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LA FIN DE LUCIE PELLEGRIN

qu’on voudrait, une sotte, une sans cœur, une rouleuse, mais elle était belle. Sans l’admirable régularité de son visage, d’où lui serait venue sa réputation ?

— Elle a eu de la chance ! objectait l’autre Adèle.

— Sans doute qu’elle en a eu, dit Héloïse. Mais qui de nous n’en a pas, un soir ou l’autre, de la chance ? Seulement ça ne dure pas. Et pour Lucie Pellegrin, la chance durait, voilà… C’était donc plus que de la chance.

— À Bullier, dit Marie la frisée, à Tivoli-Vauxhall, à Valentino, à Mabille, elle était aussi connue qu’au bal du Chalet, aux Batignolles. Si elle soupait chez Peters, comme si elle allait, à minuit, manger une choucroute à Montmartre, chez la mère Bontard : Voici la Pellegrin ! disait-on ; et chacun se retournait.

— Avec de la toilette, aussi… persistait l’autre Adèle. Si l’on avait chacune des cent mille balles…

— Mais pour y arriver à cette toilette, reprit la grande Adèle. Elle ne l’a pas toujours eue, que diable !… Elle est née vers le bas de l’avenue de Saint-Ouen, dans une ruelle de chiffonniers, près des fortifications. Ses parents, qui dormaient pendant le jour, l’envoyaient aux carrières de Montmartre, ramasser au milieu des décombres du verre cassé, des débris de bois, jusqu’à de la poussière de charbon. Toutes les après-midi, moi, qui demeurais rue Marcadet, je la voyais passer portant son grand panier, pieds nus, avec une bande de petits ravageurs de son âge. Quelquefois, par une longue fente,