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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

il se trouva sur la grand’route sans trop savoir comment il y était venu, probablement par un grand circuit à travers les vignes et les terres labourées. Et, comme prises d’un besoin subit de faire du chemin, ses jambes, quasi-octogénaires, se mirent toutes seules à marcher dans la direction de Noirfond. De temps en temps, sur une borne kilométrique, il se reposait en homme qui n’est pas pressé. Une fois même, changeant de direction, il revint quelque temps sur ses pas pour se prouver qu’il n’avait pas de but, qu’il se promenait tout simplement pour se promener. Mais une impulsion dont il n’eût pas voulu convenir, le poussa de nouveau vers la ville. Il arrivait déjà au viaduc à deux arches et à la petite rivière.

— Tiens ! j’ai fait du chemin ! fit-il, comme sortant d’un rêve.

La raide montée était là, devant lui. Quelques centaines de pas encore, et il apercevrait les arbres du Cours.

— Mais je ne vais pas à Noirfond ! s’écria-t-il avec colère.

Et il se jeta très vite à droite, dans le chemin de halage où, certain jour, miss Jenny ne s’était résignée à descendre qu’à coups d’éperon et de cravache. Il passa devant le moulin où des hommes chargeaient encore une charrette de sacs de farine, laissa derrière lui les grasses prairies inclinées vers les rochers roses de la rivière, ne vit ni les blanchisseuses accrou-