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L’INFORTUNE DE MONSIEUR FRAQUE

rien, ajouta-t-il avec une résolution irritée. Entends-tu ? de rien… Idiot, ça regarde les héritiers de madame…

Son maître parti, Isnard, seul, la tête perdue, courut, et chez M. Menu, et chez M. de la Mole. Sans se voir, sans se concerter, ces deux ministres de cultes ennemis se partagèrent tacitement la besogne. Le prêtre catholique prépara pour le lendemain un somptueux enterrement religieux. Le pasteur protestant fit la déclaration à l’état civil, prit aussi sur lui de rédiger et d’envoyer au nom du mari des lettres de faire part. Eudoxe, lui, écrivit les adresses.

En arrivant dans l’allée de platanes de Villa-Poorcels, miss Jenny, menée ventre à terre, était tout en sueur. Le cavalier jeta la bride au premier valet de ferme venu, recommanda seulement qu’on lui préparât à dîner et qu’on lui fît son lit. Il était encore jour. M. Fraque erra longtemps sur la terrasse et dans la prairie, les mains dans les poches, oubliant de porter ses pas du côté de ses cochons. Il ne semblait pourtant pas chagrin. Il mangea avec appétit. Dans la soirée, qu’il passa dans sa chambre devant un grand feu de sarments, il lut un moment le journal. Et il s’endormit, très tard il est vrai, en se disant qu’il n’était pas triste, qu’il ne voulait pas l’être, que cette femme après tout avait été la fatalité de sa vie ; que sans elle un homme de son mérite eût parcouru une tout autre carrière, eût écrit peut-être, agi, laissé quelque chose, été un second M. Thiers ; enfin que,