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S’échappait de ton cœur, empêchant la souillure
De monter jusqu’à toi des égouts du chemin ?
Ces temps de sainte peur où ton âme ignorante
Ne cherchait pas encore un mutuel amour,
Où tu voyais en rêve une vierge riante
Et, naïf, adorais comme une seule amante
Le songe de la nuit et la femme du jour ?

Ah ! s’il t’était permis de revivre une vie,
Si tu brisais du front la dalle du tombeau,
Si, Dieu le désirant, tes seize ans de nouveau
Mettaient un frais sourire à ta lèvre pâlie ;
Toi le hardi Don Juan, toi le larron d’honneur,
Le héros des balcons, des échelles de soie,
Qui, s’il l’eût bien voulu, du trône du Seigneur,
Convoitant une vierge, eut arraché sa proie :
Ne l’aimerais-tu pas, cette timide enfant ?
N’irais-tu pas trembler, blotti sur son passage,
Puis, quand elle aurait fui, te cacher le visage
Pour la revoir encor, souriant et pleurant ?
Dis ? ne voudrais-tu pas l’adorer en silence,
Lui laisser ignorer ton nom et ton amour,
En avare garder cette ardente souffrance
Que l’on souffre la nuit dans l’attente du jour ?
Tu resterais sans voix devant cette madone ;
Oui, tu préférerais ce beau songe doré,
Toi qui sus quel limon la réalité donne,
Qui, pour avoir tenté, mourus désespéré.