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corbeau, cher petit corbeau, et regarde bien à l’horizon : n’aperçois-tu point quelque voyageur ;

Quelque voyageur à la bourse garnie et la tête enveloppée d’un châle, pour que j’essaie encore mon pauvre fusil rouillé, et que j’amasse un peu d’argent pour l’hiver ?

Hélas ! bois profond, mon frère chéri, qu’as-tu fait de ton feuillage épais où j’ai si souvent fait le guet à l’ombre, et si souvent chanté des doïnas héroïques ?

L’été passe, l’hiver arrive, et toi, mon bois mystérieux, te voilà desséché ! Il passe, l’été, et comme toi je me suis dépouillé de mes fleurs.

Le voici de retour, le temps du travail laborieux ; il faut dégarnir la ceinture de ses armes ; il faut abandonner le sentier de la forêt et remettre sa tête sous le joug.

Oh ! printemps adoré, que ne peux-tu apparaître à ma voix pour que je reparaisse à mon tour bravement dans le pays, ayant mes franches coudées.

Je mettrais alors mon bonnet sur l’oreille et laisserais mes cheveux flotter au vent, et je m’étendrais à terre dans mon vieux sentier de la forêt pour faire le guet.

Et je sentirais de nouveau mon fusil sur mon épaule, et je verrais reluire à ma ceinture cinq bons pistolets incrustés d’argent, ainsi que mon kangiar si beau !

Et je caresserais joyeusement le cou nerveux et la riche crinière de mon coursier intrépide, et je le ferais courir tout le long de l’horizon lumineux, et je lui dirais :

« Fuis comme le vent, vole comme la pensée, ô mon coursier sans pareil, car enfin notre tour est revenu ; il est revenu, le beau temps de l’année passée.