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Voilà qu’aux premiers rayons de l’aurore la jeune et noble Maghiare est déjà partie, montée sur un cheval blanc que personne n’avait encore dompté ; elle est partie couverte de vêtements d’hommes et armée d’un glaive.

Frère ! si tu avais les ailes de l’oiseau ou bien même les ailes du vent, tu ne pourrais l’atteindre dans sa course, car elle ne vole ni comme le vent ni comme l’oiseau léger, mais comme le doru[1] qui fait mourir.

Plaines, vallées, nuages du ciel, tout disparaît derrière elle ; quiconque la voit, l’aperçoit à peine comme une étoile qui brille un instant pour s’effacer aussitôt dans l’immensité.

La voici qui pénètre au sein des forêts profondes, au sein des forêts sans limites, où l’on entend hurler des milliers de bêtes fauves ; et l’intrépide jeune fille avance par un petit sentier perdu.

Les ombres de la nuit s’étendent ; l’esprit de la terreur prend son vol à travers le monde ; le vent souffle et gémit ; la forêt hurle et frémit ; le tonnerre gronde sourdement dans le ciel.

Mais la jeune fille avance toujours ; elle anime sans cesse le blanc coursier qui respire à peine et qui laisse de vastes espaces derrière lui… car celui qui est tourmenté par le doru se rit du vent et du tonnerre.

Voilà que, dans une heure fatale, ils sont arrivés aux bords d’une eau courante ; petit ruisseau sans nom qui coulait mystérieusement dans le monde, en déposant une écume argentée aux pieds des fleurs de ses rivages.

  1. Le mot doru n’a point d’équivalent dans la langue française ; il exprime un sentiment puissant qui tient à la fois du désir, du regret, de l’espoir, de la douleur et de l’amour.