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Mais un soir, là-haut, sur la colline, une vieille sorcière consulta les quarante et un grains de maïs[1], et dit tout à coup en frémissant : « Ô ma fille, que Dieu te préserve du bel étranger à la voix caressante ! »

Dès lors Zamfira apercevait souvent une ombre glissante parmi les nuages, et toute la nuit elle restait pensive, le cœur dévoré de vagues désirs, l’âme pénétrée de doux frissons…

En ce moment elle était sortie de sa tente pour fixer ses regards humides de larmes sur la lune, et sa voix mélancolique chantait ainsi :

« Ô croissant lumineux, tu m’as trouvée toute en larmes ; tu m’as trouvée avec des pensées tristes et avec la figure assombrie.

« Mon cœur regrette, mais que regrette-t-il ! Je ne sais ce qu’il veut, je ne sais ce qu’il désire, mon pauvre cœur !

« Car il entend pendant la nuit des frémissements d’ailes, et puis de doux chuchotements qui lui parlent du haut des nuages.

« Puis, quand les rayons du jour viennent resplendir là-haut, mon pauvre cœur songe encore longtemps au rêve évanoui de la nuit.

« Ô croissant lumineux, sois le bien venu parmi nous ; mais, quand tu nous quitteras, ah ! ne va pas laisser après toi le regret amer qui dévore mon âme.

« Laisse-moi avec un collier de beaux ducats, et une écharpe blanche et des babouches rouges.

« Laisse-moi surtout bienheureuse, et fais que mon

  1. Les diseuses de bonne aventure se servent de quarante et un grains de maïs.