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moutons rôtis, il y avait trois tonneaux défoncés pleins de vin ; les sloujitores mangeaient et buvaient. Les boyards, dans la salle, buvaient et mangeaient aussi. Les têtes commençaient à s’échauffer. Les boyards portaient au prince des toasts bruyants, auxquels répondaient les cris des lefedghis et le grondement du canon.

L’on était près de se lever de table, lorsque Veveritze, levant sa coupe, porta le toast suivant : « Vivez de longues années, monseigneur, et gouvernez en paix le pays ! Que Dieu vous affermisse dans votre dessein de respecter la vie des boyards et de ne plus opprimer le peuple ! »

Ces mots étaient à peine prononcés, que la massue de l’intendant des prisons, le frappant droit au front, l’étendit raide mort,

« Ah ! vous insultez votre prince, s’écria-t-il ; sus à eux, garçons ! » Au même instant, tous les domestiques, qui se tenaient derrière les boyards, tirèrent leurs glaives et se mirent à frapper. Une troupe de soldats, conduits par le capitaine des lefedgis, envahirent la salle et prêtèrent main-forte aux bourreaux. Quant à Lapuchneano, il avait pris Motzok par la main, et tous deux, retirés à l’embrasure d’une fenêtre ouverte, contemplaient cet horrible carnage qui commençait. Le courtisan, voyant son maître sourire, s’efforçait aussi d’appeler le sourire sur ses lèvres ; mais ce rire était glacé ; ses cheveux se hérissaient, et ses dents claquaient d’effroi. Et, en effet, la scène qu’il avait sous les yeux était horrible. Que l’on se figure, dans une salle de cinq toises de long sur quatre de large, une centaine d’hommes, les uns ivres de meurtre, les autres en proie à l’é-