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tares l’entourent, des Tatares aux yeux ronds et petits comme les trous d’un crible ; ils restent tous agenouillés sur un tapis à la laine frisée.

Cependant, non loin de l’entrée, sous le chêne du Trépassé, un pauvre Roumain est attaché avec de fortes cordes, couvert de lourdes chaînes, ainsi qu’un grand criminel, c’est Groué Grozovan le Moldave !

Deux Tatares sont occupés à le torturer ; deux autres préparent sous ses yeux le pal destiné à son supplice, et pourtant Groué chante gaiement comme s’il assistait à une noce.

Voilà que les femmes des Tatares et les femmes des mirzas 31 se précipitent dans la tente avec de grands cris.

« Ô toi ! notre seigneur et maître, disent-elles, grand Ghiraï ! vieux khan à la ceinture ornée d’un riche kangiar, ordonne à l’instant la mort de Groué pour apaiser notre âme, car depuis qu’il a pénétré dans le Boudjiak 32, il a tué grand nombre de tes braves Tatares ; il a condamné bien des femmes au triste veuvage, il a fait vieillir bien des jeunes filles et il a changé en désert la moitié du Boudjiak ainsi que le tiers de la Crimée.

À ces mots le vieux Ghiraï ôte son kangiar de sa ceinture, et de sa voix rauque de païen, il parle ainsi au prisonnier :

« Holà hé, Groué ! fameux vaillant ! il n’est plus de pardon pour toi ! Dis-nous la vérité à ta dernière heure : as-tu donné la mort à beaucoup de Tatares ? »

Groué le Roumain répond en riant :

« Holà hé ! vieux khan, laisse ton kangiar à sa place, car je suis un fils de Roumain et je me ris d’un païen tel que toi. Tu demandes si j’ai donné la mort à beaucoup