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les individus : c’est ainsi qu’il a subi sans se plaindre les rudes épreuves qui l’ont assailli. Une autre pensée plus consolante le soutient ; il a foi dans la durée de sa race. « Le Romain, dit-il, ne saurait périr (Romanu nu pere). »

Il est un autre préjugé, également puissant, également indestructible, que vous verrez régner d’un bout à l’autre des Principautés et dont les ballades portent un constant témoignage. Le Roumain croit que toutes les calamités, tous les fléaux dont il est la proie, le choléra, la famine, les épidémies, les sauterelles, lui viennent d’au-delà du Pruth ; et dans son effroi superstitieux il attribue à l’apparition des Russes sur ses bords, les mêmes présages sinistres que témoignait à Rome la venue d’une comète[1]. Aussi le Pruth est-il pour lui la rivière maudite, le Cocyte aux eaux noires, qui sépare le rivage infernal du paradis de la Roumanie, comme il appelle sa terre natale. Prêtez l’oreille à ce Chant du Pruth, que répètent tous les échos de la Roumanie et dites si jamais plus élo-

  1. Je m’étonnais devant un Roumain de la rigueur de la saison (1849) : « Ne vois-tu pas, me dit-il, que les Russes nous ont apporté leur hiver ? » Par une coïncidence singulière, on remarque, en effet, que chacune des invasions moscovites dans les Principautés a été suivie, non-seulement de la peste, de la famine, ce qui serait une conséquence naturelle, mais de catastrophes purement accidentelles, comme l’épizootie, l’inondation, etc.