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de l’espoir, de la douleur et de l’amour, et qui, dit-on, fait mourir celui qui en est atteint. Souvent le voyageur, à l’entrée des Carpathes, entend de loin une flûte, qui joue lentement un de ces airs de complainte dont une seule voix de femme rend la mélodie ; dominé par un charme inconnu, il s’arrête, et prête machinalement l’oreille pour mieux écouter ces soupirs de la montagne.

Le Roumain est naturellement poëte, — poëte par le sentiment et par l’expression. Soit que le doru l’agite, soit que l’enthousiasme s’éveille en lui au souvenir de la gloire de ses aïeux, il chante, et l’inspiration déborde de ses lèvres, comme d’une source intarissable. La langue même dans laquelle il s’exprime est marquée au coin de cette poésie naturelle. Elle abonde en comparaisons pittoresques, en images gracieuses et terribles. C’est ainsi qu’il appelle l’argent l’œil du diable, la mort la fiancée du monde[1] ; il donne à la terre, comme les anciens Romains, le nom de mère, mater ; il compare la bonté à la maternité, bon comme le sein d’une mère (bun ca sinul mameii) ; un homme en colère, au Danube, il devient Danube (se face Dunere) ; il dit d’un homme supérieur qu’il porte une étoile au front (cu stea in frunte) ; d’une belle femme qu’elle est un fragment de soleil (rupta din sore).

  1. La mort règne en souveraine sur l’univers, et tout homme en entrant dans la vie lui est fiancé.