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première confidence, et lorsqu’elle développa davantage ce qui avait trait à la signora qui l’avait recueillie dans le monastère de Monza, elle apprit de la veuve même des choses qui, en lui donnant la clef de bien des mystères, lui remplirent l’âme d’étonnement, de douleur et d’effroi. Elle apprit que la malheureuse, soupçonnée des actions les plus atroces, avait été, par ordre du cardinal, transférée dans un monastère de Milan ; que là, après bien des violences et des fureurs, elle s’était repentie, elle s’était accusée, et que sa vie actuelle était un supplice volontaire tellement rigoureux que personne, à moins de lui ôter la vie même, n’aurait pu en imaginer un qui le fût davantage. Ceux qui voudront mieux connaître les particularités de cette triste histoire, les trouveront dans le livre et au passage de ce livre que nous avons cités ailleurs à propos de la même personne[1].

La seconde chose que nous avons à dire, c’est que Lucia, en demandant des nouvelles du père Cristoforo à tous les capucins qu’elle rencontra au lazaret, y apprit, avec plus de douleur que de surprise, qu’il était mort de la peste.

Enfin, avant de partir, elle aurait aussi désiré savoir quel avait été le sort de ses anciens maîtres, et, dans le cas où ils seraient, l’un ou l’autre du moins, encore en vie, remplir, disait-elle, auprès d’eux un devoir. Accompagnée de la veuve, elle se rendit à leur maison, où elles apprirent que tous deux ils avaient suivi la foule à l’autre monde. Pour donna Prassède, en disant qu’elle était morte, on a tout dit ; mais quant à don Ferrante, l’Anonyme a pensé qu’en sa qualité de savant, il avait droit à une mention un peu plus étendue. Et nous, à nos risques et périls, nous transcrirons à peu près ce que notre auteur nous a laissé à cet égard.

Il dit donc que, dès le premier moment où l’on parla de peste, don Ferrante fut l’un de ceux qui, de la manière la plus prononcée, en nièrent l’existence, et qu’il soutint constamment jusqu’au bout cette opinion ; non point par des criailleries, comme le peuple, mais par des raisonnements auxquels personne du moins ne pourra reprocher de manquer d’enchaînement relatif et de juste liaison.

« In rerum natura, disait-il, il n’y a que deux genres de choses, les substances et les accidents ; et si je prouve que la contagion ne peut être ni l’un ni l’autre, j’aurai prouvé qu’elle n’existe pas, que c’est une chimère. Les substances sont ou spirituelles ou matérielles. Que la contagion soit substance spirituelle, c’est une sottise que personne ne voudrait soutenir ; de sorte qu’il est inutile d’en parler. Les substances matérielles sont ou simples ou composées. Or la contagion n’est pas substance simple, et quatre mots suffisent pour le démontrer. Elle n’est pas substance d’air, parce que, si elle l’était, au lieu de passer d’un corps dans l’autre, elle s’envolerait incontinent vers sa sphère. Elle n’est pas d’eau, parce qu’elle mouillerait et serait desséchée par les vents. Elle n’est pas de feu, parce qu’elle brûlerait. Elle n’est pas de terre, parce qu’elle serait visible. Ce n’est pas non plus une substance composée ; car nécessairement elle devrait

  1. Ripamonti, Hist. Dec. I’Pat. lib. VI, cap iii.