L’ami, revenant avec le paquet, dit : « Je pense que tu dois aussi avoir appétit ; quant à la boisson, je vois fort bien que tu n’en auras pas manqué en route ; mais la pitance…
— J’ai trouvé à acheter deux pains hier au soir ; mais, à dire vrai, je les ai à peine senti passer sous ma dent.
— Laisse-moi faire, dit l’ami ; il versa de l’eau dans un petit chaudron qu’il attacha ensuite à la crémaillère, et il ajouta : Je vais traire la vache ; quand je reviendrai avec le lait l’eau sera prête, et nous ferons une bonne polenta. Toi, pendant ce temps, arrange-toi à ton aise. »
Renzo, demeuré seul, ôta, non sans peine, le reste de ses vêtements qui s’étaient comme collés sur lui ; il se sécha, se rhabilla de la tête aux pieds. L’ami revint et alla vers son chaudron, Renzo s’assit en attendant.
« À présent, je m’aperçois que je suis fatigué, dit-il. Au fait la trotte est bonne pour toute la journée. Pourtant ceci n’est rien, j’en ai bien d’autres à te conter. Comme Milan est accommodé ! Quelles choses il y faut voir ! Quelles choses il y faut toucher ! C’est à se faire ensuite mal au cœur à soi-même. Et volontiers je dirais qu’il ne me fallait rien moins que cette petite lessive. Et ce qu’ils ont voulu me faire, ces messieurs de là-bas ! ce sera curieux à le dire. Mais si tu voyais le lazaret ! Il y a de quoi s’y perdre dans les misères. Enfin, je te conterai tout cela… Et elle existe ; et elle viendra ici, et elle sera ma femme, et tu seras l’un de nos témoins, et, peste ou non peste, je veux qu’au moins pour quelques heures nous nous donnions du bon temps. »
Du reste, il tint parole quant aux récits qu’il avait dit à son ami vouloir lui faire durant toute la journée, ce qu’il put d’autant mieux que la pluie ayant toujours continué, celui-ci passa toute cette journée à la maison, tantôt assis près de son hôte, tantôt s’occupant à disposer sa petite cave, son petit tonneau, et à faire d’autres préparatifs pour la vendange ; en quoi Renzo ne laissa pas que de lui donner un bon coup de main ; car, comme il avait coutume de le dire, il était de ces gens qui se fatiguent plus à rester oisifs qu’à travailler. Il ne put cependant s’empêcher de faire, à la dérobée, une petite excursion vers la maison d’Agnese pour revoir une certaine fenêtre, et là aussi répéter son petit frottement de mains. Il revint sans que personne l’eût aperçu et se coucha tout de suite. Le lendemain il se leva avant le jour ; et voyant que, si le temps n’était pas bien serein encore, la pluie du moins avait cessé, il se mit en route pour Pasturo.
Il y arriva de bonne heure ; car il n’avait pas moins d’envie et de hâte de finir que ne peut en avoir le lecteur. Il demanda Agnese et s’informa de sa santé. On lui dit qu’elle se portait bien, et on lui indiqua une petite maison isolée où elle habitait. Il s’y rendit et l’appela de la rue. À cette voix, la bonne femme courut à sa fenêtre ; et tandis qu’elle ouvrait la bouche pour faire entendre je ne sais quelle parole, je ne sais quel son, Renzo la prévint en disant :
« Lucia est guérie, je l’ai vue avant-hier ; elle vous fait ses amitiés, elle viendra bientôt. Et puis j’en ai, j’en ai des choses à vous dire ! »