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presque toujours, elle le laissa dans une situation pire que celle où il était avant de l’avoir conçue. Ce qui désormais pouvait lui arriver de plus heureux était de trouver Lucia malade. Cependant, par cela même qu’à cette espérance du moment venait de succéder une crainte plus vive, il s’attacha de toutes les forces de son âme à la pensée qui lui offrait ce triste et faible soutien. Il rentra dans l’avenue et marcha vers le lieu d’où la procession était partie. Lorsqu’il fut au pied de la chapelle, il alla s’agenouiller sur la dernière marche, et là il fit à Dieu une prière, ou, pour mieux dire, il lui adressa un mélange confus de paroles en désordre, de phrases interrompues, d’exclamations, d’instances, de gémissements, de promesses ; un de ces discours qu’on n’adresse pas aux hommes, parce qu’ils n’ont pas assez de pénétration pour les comprendre ni de patience pour les écouter, ils ne sont pas assez grands pour en ressentir de la compassion sans mépris.

Il se dressa un peu ranimé ; il fit le tour de la chapelle et se trouva dans une autre avenue qu’il n’avait pas vue encore et qui conduisait à l’autre porte. Après y avoir marché pendant quelques moments, il vit la clôture en planches dont lui avait parlé le père Cristoforo, mais avec les lacunes que le père lui avait également dit y exister. Il entra par une de ces ouvertures et se trouva dans le quartier des femmes. Presque au premier pas qu’il y fit, il vit à terre une sonnette, de celles que les monatti portaient au pied ; il lui vint à l’esprit que cet instrument pourrait lui servir comme de passe-port ; il le ramassa, regarda si personne n’avait les yeux sur lui, et se l’attacha à la façon des monatti. Puis aussitôt il entreprit sa recherche, cette recherche qui, par la seule multiplicité des objets, eût été singulièrement fatigante, lors même que ces objets auraient été d’une tout autre nature. Il commença à promener ses regards, ou plutôt à les arrêter sur de nouvelles misères, si semblables en partie à celles qu’il avait déjà vues, et en partie si différentes, qu’avec la même calamité c’était ici, pour ainsi dire, une autre manière de souffrir, de languir, de se plaindre, de supporter ses maux, de compatir à ceux des autres et de se secourir mutuellement ; c’était, pour celui aux yeux de qui s’offrait un tel spectacle, une autre pitié et un autre genre d’horreur.

Il avait déjà fait je ne sais combien de chemin sans fruit et sans accident, lorsqu’il entendit derrière lui un « Oh ! » qui semblait lui être adressé. Il se retourna et vit à une certaine distance un commissaire qui leva la main et fit un signe qui était bien en effet pour lui, en criant : « Là, dans les chambres, on y a besoin d’aide ; ici le balayage est fini. »

Renzo vit sur-le-champ pour qui il était pris, et que sa sonnette était la cause de l’équivoque. Il s’accusa de sottise pour n’avoir pensé qu’aux inconvénients que ce triste insigne pouvait lui faire éviter, et non pas à ceux qu’il pouvait faire naître ; mais, songeant en même temps au moyen de se débarrasser au plus vite de cet homme, il lui fit un signe de tête répété comme pour dire qu’il avait entendu et qu’il allait obéir ; et il se déroba à sa vue en se jetant de côté à travers les baraques.

Lorsqu’il se crut assez loin, il songea aussi à se défaire de ce qui avait donné