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même que, si d’un côté la mort ou la fuite dégarnissaient les rangs de ceux auxquels était confiée la direction des intérêts publics, il s’en trouva aussi qui conservèrent constamment la santé du corps comme la force de l’âme dans le poste où ils étaient placés ; il y en eut d’autres qui, mus par la piété, se donnèrent volontairement et remplirent avec gloire, en partageant les soins de ces derniers, une tâche qui ne leur était point imposée.

Ce fut surtout parmi les ecclésiastiques que brilla une généreuse et constante fidélité aux plus pénibles devoirs. Dans les lazarets, dans la ville, leur assistance ne manqua jamais ; ils étaient partout où était la souffrance ; toujours on les vit mêlés, confondus avec les moribonds, et, tandis quelquefois qu’ils étaient malades et moribonds eux-mêmes, avec les secours de l’âme, ils répandaient, par tous les moyens en leur pouvoir, les secours temporels ; ils rendaient tous les services que pouvaient réclamer les circonstances. Plus de soixante curés, dans la ville seulement, moururent de la contagion, c’est-à-dire environ les huit neuvièmes.

Frédéric, comme on devait s’y attendre, les animait tous par ses paroles et son exemple. Après avoir vu périr presque toutes les personnes de sa maison, pressé par ses parents, par de hauts magistrats, par les princes voisins, de s’éloigner du danger en se retirant dans quelque campagne isolée, il repoussa et ce conseil et ces instances avec ce même cœur qui lui faisait écrire aux curés de son diocèse : « Soyez disposés à abandonner cette vie mortelle plutôt que cette famille qui est la nôtre, que ces enfants qui nous appartiennent ; allez avec empressement, avec amour, au-devant de la peste comme à une récompense, comme à une vie nouvelle, toutes les fois qu’il y aura une âme à gagner à Jésus-Christ[1] » Il ne négligea pas les précautions qui ne l’empêchaient point de remplir son devoir ; il donna même à cet égard des instructions et des règles à son clergé ; mais en même temps il ne s’inquiéta jamais du danger et ne parut pas même y prendre garde, lorsque dans le bien qu’il allait faire le danger se trouvait sur ses pas. Sans parler des ecclésiastiques, avec lesquels il était toujours pour louer et diriger leur zèle, pour stimuler ceux d’entre eux qui auraient pu montrer à l’œuvre quelque tiédeur, pour les envoyer aux postes où d’autres avaient perdu la vie, il voulut qu’un libre accès auprès de sa personne fût toujours ouvert à quiconque aurait besoin de lui. Il visitait les lazarets, pour donner des consolations aux malades et des encouragements à ceux qui les assistaient ; il parcourait la ville, portant des secours aux pauvres gens séquestrés dans leurs maisons, s’arrêtant à leurs portes, sous leurs fenêtres, pour écouter leurs doléances et leur offrir en échange des paroles de consolation et des exhortations au courage. Il se mit, en un mot, et vécut au milieu de la peste, si bien qu’il s’étonnait lui-même, lorsqu’elle eut cessé, d’avoir échappé à ses atteintes.

C’est ainsi que, dans les grandes infortunes publiques et dans une longue perturbation de cet ordre de choses quelconque qui est l’ordre de choses habi-

  1. Ripamonti, p. 164.