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nous en croyons Taddino ; lequel affirme que, par les recherches faites, on trouva la population de Milan, après la peste, réduite à peu près à soixante-quatre mille âmes, et qu’elle était auparavant de plus de deux cent cinquante mille. Selon Ripamonti, elle n’était que de deux cent mille ; et, quant aux morts, il résulte, dit-il, des registres civils, que le nombre s’en éleva à cent quarante mille, sans parler de ceux dont on ne put tenir compte. D’autres donnent d’autres chiffres en plus ou en moins, mais encore plus à l’aventure.

Que l’on se figure quels devaient être les soucis des décurions sur qui pesait le soin de pourvoir aux besoins publics, de parer au mal là où il était possible de le faire dans un semblable désastre.

Chaque jour il fallait remplir des vides parmi les employés du service sanitaire, chaque jour augmenter le nombre de ces agents de diverses sortes : monatti, apparitori, commissaires. Les premiers étaient affectés aux services les plus pénibles et en même temps les plus dangereux de la peste, comme d’enlever les cadavres des maisons, des rues, du lazaret, de les charrier aux fosses et les enterrer, de porter ou conduire les malades au lazaret et de les y soigner ; de brûler, de purifier les objets infectés ou suspects. Quant à leur nom, Ripamonti le fait dériver du grec monos ; Gaspare Bugati (dans une description de la peste antérieure), du latin monere ; mais celui-ci en même temps soupçonne, avec plus de raison, que ce peut être un mot allemand, vu que ces hommes étaient pour la plupart recrutés en Suisse et dans le pays des Grisons. Et il serait en effet assez plausible de voir dans ce mot une abréviation de celui de monatlich (mensuel) ; car, dans l’incertitude où l’on était sur le temps durant lequel on pourrait avoir besoin de cette sorte d’agent, il est probable qu’on ne les engageait que de mois en mois. L’emploi spécial des apparitori était de précéder les chariots chargés de cadavres, en sonnant une clochette pour avertir les passants de se ranger. Les commissaires dirigeaient les uns et les autres, sous les ordres immédiats du tribunal de santé. Il fallait veiller à ce que le lazaret fût constamment pourvu de médecins, de chirurgiens, de médicaments, de vivres, de tout ce qu’exige le service d’une infirmerie ; il fallait trouver et disposer de nombreux logements pour les nouveaux malades qui survenaient tous les jours. Pour cela on fit construire à la hâte des baraques en bois et en paille dans l’espace intérieur du lazaret ; on en forma un nouveau, tout en baraques, avec une simple clôture en planches, et propre à contenir quatre mille personnes. Puis, comme il ne suffisait pas encore, on ordonna la formation de deux autres, pour lesquels même on mit la main à l’œuvre ; mais le défaut de moyens de tout genre empêcha de les achever. Les moyens, les ouvriers, le courage, tout cela diminuait à mesure qu’en augmentait le besoin.

Et non-seulement les projets et les ordres donnés restaient sans exécution, non-seulement on ne satisfaisait que d’une manière bien imparfaite, même en paroles, à nombre de nécessités qui n’étaient que trop reconnues ; mais on en vint à ce degré d’impuissance et de désespoir de ne rien faire du tout pour celle-là même qui était la plus urgente et la plus à déplorer. Ainsi, par exemple, on laissait mourir dans l’abandon une grande quantité de petits