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nous dire que s’il est des cas où l’erreur puisse être entièrement attribuée à l’esprit, et la conscience en être absoute, c’est lorsqu’il s’agit du petit nombre d’hommes (et certes celui-ci en fit partie) qui, dans toute leur vie, ont montré ne savoir qu’obéir franchement à leur conscience, sans égard pour aucune sorte d’intérêts personnels. Il finit donc par céder à des instances réitérées ; il consentit à la procession, il se rendit même à un désir pressant et général, en permettant que la châsse où était renfermé le corps de saint Charles restât ensuite exposée pendant huit jours aux regards du peuple sur le maître-autel de la cathédrale.

Je ne vois point que ni de la part du tribunal de santé ni d’aucune autre part il ait été apporté quelque opposition à cette cérémonie, qu’elle ait été l’objet d’aucune remontrance. Seulement ce tribunal prit quelques précautions qui, sans parer au danger, en dénotaient la crainte. Il prescrivit des mesures plus précises pour l’entrée en ville des personnes venant du dehors ; et, pour en assurer l’exécution, il fit tenir les portes fermées ; de même que pour exclure, autant que possible, de la réunion les personnes atteintes de la maladie et celles dont l’état pouvait être suspect, il fit clouer les portes des maisons en état de séquestration. Le nombre de ces maisons, pour tout autant que peut valoir sur un fait de ce genre la simple assertion d’un écrivain, et d’un écrivain de ce temps-là, s’élevait à environ cinq cents[1].

Trois jours furent employés aux préparatifs de la procession. Le 11 juin, qui était celui auquel on l’avait fixée, elle sortit au point du jour de la cathédrale. Elle s’ouvrait par une longue file de gens du peuple, de femmes pour la plupart, ayant un ample voile sur la tête, et dont un grand nombre, vêtues de toile grossière, allaient nu-pieds. Venaient ensuite les arts et métiers, précédés de leurs bannières, les confréries en habits variant de formes et de couleurs, puis les ordres religieux, puis une partie du clergé séculier ; chacun, dans ces divers corps, ayant les insignes de son rang et portant à la main un cierge de plus ou moins de volume. Dans le milieu de la procession, là où plus de flambeaux brillaient les uns après des autres, où plus de chants faisaient retentir l’air, s’avançait, sous un riche dais, la châsse portée par quatre chanoines revêtus de leurs plus beaux ornements, et qui se relevaient de distance en distance. À travers les glaces qui formaient les côtés du précieux reliquaire, on voyait le corps du saint, couvert de magnifiques habits pontificaux, la mitre en tête, et conservant encore, sous des traits flétris et décomposés, quelque chose de sa figure, telle que les peintres l’ont représentée, ou que quelques personnes se souvenaient de l’avoir vue lorsqu’il était vivant et recevaient leurs hommages. Derrière la dépouille mortelle du pasteur révéré (dit Ripamonti à qui nous empruntons en grande partie cette description), et près de lui par sa personne, comme il l’était par les mérites, par le sang et par les dignités, venait l’archevêque Frédéric. À sa suite marchait le reste du clergé, et après le clergé les magistrats en costume de grande cérémonie ; puis les nobles, les uns en grande parure,

  1. Alloggiamento dello stato di Milano, di C. G. Cavatio della Somaglia. Milano, 1653, p. 482.