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ces détails, en partie peu connus, en partie tout à fait ignorés, d’un célèbre délire, car dans les erreurs humaines, et surtout dans les erreurs où un grand nombre d’hommes viennent prendre part, ce qui est le plus intéressant et le plus utile à observer est, ce me semble, la route qu’elles ont suivie, les apparences, les moyens par lesquels elles ont pu entrer dans les esprits et les dominer. La ville déjà émue fut, par cet événement, tout à fait bouleversée. Les propriétaires des maisons allaient brûlant de la paille sur les endroits maculés ; les passants suspendaient leur marche, regardaient, frémissaient d’horreur ; les étrangers, suspects par ce seul titre, et qu’il était alors facile de reconnaître à leur costume, étaient arrêtés par le peuple dans les rues et conduits devant la justice. On fit subir des interrogatoires, un examen aux individus ainsi arrêtés, à ceux qui les avaient saisis, aux témoins que les uns et les autres produisaient ; personne ne fut trouvé coupable ; les esprits étaient encore capables de douter, d’examiner, de prêter attention à ce qu’ils avaient à juger. Le tribunal de santé publia une ordonnance par laquelle il promettait une récompense et l’impunité à celui qui ferait connaître l’auteur ou les auteurs du fait.

Ne jugeant en aucune manière convenable, disent ces messieurs toujours dans la même lettre, qui porte la date du 21 mai, mais qui fut évidemment écrite le 19, jour dont est datée l’ordonnance imprimée, que ce délit, par quelque cause que ce soit, puisse demeurer impuni, surtout dans un temps de si grands dangers et de tant de craintes, nous avons, pour la consolation et le repos de ce peuple, et pour obtenir quelque indice du fait, publié aujourd’hui l’ordonnance, etc. On ne voit pourtant dans cette pièce rien qui rappelle, au moins d’une manière un peu claire, cette conjecture raisonnable et tranquillisante dont ils faisaient part au gouverneur ; silence qui dénote tout à la fois dans le peuple une violente préoccupation, et de leur part une condescendance d’autant plus blâmable qu’elle pouvait être plus funeste.

Pendant que le tribunal cherchait le coupable, bien des gens dans le public l’avaient, comme cela se voit toujours, déjà trouvé. Parmi ceux qui croyaient au poison dans ce barbouillage, les uns voulaient que ce fût une vengeance de don Gonzalo-Fernandez de Cordova, pour les insultes qu’il avait reçues à son départ ; d’autres y voyaient l’œuvre du cardinal de Richelieu qui aurait imaginé ce moyen pour dépeupler Milan et s’en emparer ensuite sans peine ; d’autres encore, et l’on ne sait trop par quels motifs, donnaient pour l’auteur du fait, le comte de Collalto, ou Wallenstein, ou tel ou tel autre gentilhomme milanais. Il s’en trouvait aussi beaucoup, comme nous l’avons dit, qui ne supposaient dans tout cela qu’une sotte plaisanterie et l’attribuaient à des écoliers, à des messieurs de la ville, à des officiers qui s’ennuyaient au siège de Casal. Comme ensuite on ne vit pas, ainsi qu’on l’avait craint, l’infection devenir à l’instant générale et tout le monde mourir, l’effroi se calma pour le moment, et l’on ne songea plus ou l’on ne parut plus songer à l’événement qui l’avait fait naître.

Il y avait d’ailleurs un certain nombre de personnes non encore convaincues que la peste existât ; et parce que, tant au lazaret que dans la ville, quelques malades guérissaient, « on disait (les derniers arguments d’une opinion battue