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l’y aider, dans chacun de ses écrits, sans en excepter celui que nous a laissé Ripamonti[1] et qui doit être mis de beaucoup au-dessus des autres, pour le nombre comme pour le choix des faits, et encore plus pour la manière dont il sait les observer. Dans chacun sont omis des faits essentiels qui sont consignés dans d’autres ; dans chacun se trouvent des erreurs matérielles que l’on peut reconnaître et rectifier à l’aide de quelque autre de ces mêmes écrits ou du petit nombre d’actes de l’autorité publique, imprimés ou manuscrits, qui nous restent. Souvent on trouve dans une relation les causes dont on a vu dans une autre les effets comme ne tenant à rien. Dans toutes ensuite règne une étrange confusion de choses et d’époques ; la plume du narrateur y va et vient sans cesse comme au hasard, sans aucun plan ni d’ensemble ni de détails ; caractère, au reste, qui distingue de la manière la plus générale et la plus marquée les livres de ce temps, surtout les livres composés en langue vulgaire ; c’était du moins ainsi en Italie ; les hommes doctes doivent savoir si la remarque s’applique au reste de l’Europe ; nous sommes, pour notre compte, fort tentés de le penser. Aucun écrivain d’une époque postérieure ne s’est proposé d’examiner et de rapprocher ces mémoires pour former, des diverses notions qu’ils fournissent, une chaîne suivie, une véritable histoire de cette peste ; de sorte que l’idée que l’on en a généralement ne peut être que fort incertaine et un peu confuse. Ce ne peut être qu’une idée vague de grands maux et de grandes erreurs (et en vérité il y eut des uns et des autres au-delà de tout ce que l’on peut se figurer), une idée composée de jugements plus que de faits, et où les quelques faits qui se présentent sont épars, isolés quelquefois de leurs circonstances les plus caractéristiques, sans distinction de dates, sans rien par conséquent qui marque la cause et son effet, qui fasse sentir dans les événements leur cours, leur progression. Pour nous, en donnant du moins beaucoup de soin à examiner et rapprocher toutes les relations imprimées, plusieurs relations manuscrites et bon nombre (eu égard au peu qui nous en reste) de ces documents que l’on appelle officiels, nous avons cherché à faire, au moyen de ces divers matériaux, non sans doute un travail tel qu’on pourrait le désirer, mais un travail qui n’a pas été fait jusqu’à ce jour. Notre intention n’est point de reproduire tous les actes publics, non plus que de rapporter tous les événements qui, sous un point de vue quelconque, pourraient en être dignes. Nous prétendrons encore moins rendre inutile la lecture des relations originales à ceux qui voudraient se former une idée plus complète du point d’histoire qui nous occupe ; nous sentons trop bien tout ce qu’il y a de force propre et pour ainsi dire incommunicable dans les œuvres de ce genre, de quelque manière qu’elles aient été conçues et exécutées. Nous avons seulement tenté de reconnaître et de vérifier les faits les plus généraux et les plus importants, de les disposer, autant que la raison et leur nature le comportent, dans l’ordre réel où ils se sont passés, d’observer leurs rapports et leur influence réciproque, et

  1. Josephi Ripamontii, canonici scalensis, chronistæ urbis Mediolani, de peste quæ fuit anno 1630, libri V, Mediolani, 1640, apud Malatesta.