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qui passaient successivement le pont de Lecco, parce que ceux-là pouvaient être considérés comme bien partis et ne devant plus affliger le pays de leur présence. On avait vu passer les régiments de cavalerie de Wallenstein, d’infanterie de Mérode, de cavalerie de Anhalt, d’infanterie de Brandebourg ; puis, et l’un après l’antre, les deux de cavalerie de Montecuculli et de Ferrari ; puis Altringer, Furstenberg et Colloredo ; puis Torquato Conti, les Croates, et d’autres et d’autres encore, jusqu’à ce qu’enfin, et lorsqu’il plut au ciel, passa Galasso, qui fut le dernier. L’escadron volant des Vénitiens finit aussi par s’éloigner, et tout le pays, à droite comme à gauche, se trouva libre. Déjà les habitants des endroits les premiers envahis et les premiers évacués étaient partis du château, et chaque jour il en partait d’autres ; comme, après un orage d’automne, on voit du feuillage touffu d’un grand arbre sortir de toute part les oiseaux qui étaient venus s’y abriter. Je crois que nos trois personnages furent les derniers à se mettre en route ; et cela parce que don Abbondio le voulut ainsi, dans la crainte, s’il retournait trop tôt, de rencontrer encore des lansquenets séparés de leurs corps et restés à la queue de l’armée. Perpetua eut beau dire que plus l’on tardait, plus on donnait le moyen aux mauvais sujets du pays d’entrer dans la maison et d’enlever ce qui pouvait y rester : lorsqu’il s’agissait de la vie à garantir, c’était toujours don Abbondio qui l’emportait, à moins que l’imminence du danger ne lui eût totalement fait perdre la tête.

Le jour fixé pour le départ, l’Innomé fit tenir prêt à la Malanotte un carrosse dans lequel il avait fait mettre une provision assortie de linge pour Agnese ; et de plus, appelant à part la bonne femme, il lui fit accepter un rouleau d’écus d’or, pour qu’elle eût de quoi réparer le dommage qu’elle trouverait dans sa maison ; il exigea qu’elle les prît, quoiqu’elle lui dît et lui répétât, en frappant de sa main sur sa poitrine, qu’elle en avait encore là des anciens.

« Quand vous verrez votre bonne, votre pauvre Lucia… lui dit-il en finissant ce petit colloque, je suis bien sûr qu’elle prie pour moi, précisément parce que je lui ai fait beaucoup de mal ; dites-lui donc que je la remercie, et que j’ai la confiance que de ses prières lui reviendront autant de bénédictions du ciel pour elle-même. »

Il voulut ensuite accompagner ses trois hôtes jusqu’à la voiture. Le lecteur peut se figurer combien furent vifs, dans leur humilité, les remercîments de don Abbondio, et tout ce que Perpetua sut y joindre. Ils partirent : selon ce qui avait été convenu, ils s’arrêtèrent un moment, mais sans même s’asseoir, chez le tailleur, et là ils entendirent raconter cent et cent choses du passage des troupes ; l’histoire ordinaire des vols, des coups, des dévastations, des violences de toute espèce ; mais par bonheur aucun lansquenet n’avait paru dans ce lieu. « Ah ! monsieur le curé ! dit le tailleur en lui donnant le bras pour l’aider à remonter en voiture ; il y a de quoi faire des livres imprimés sur le fracas de tels événements. »

Après avoir fait encore un peu de chemin, nos voyageurs commencèrent à voir de leurs propres yeux quelque chose de ce qu’ils avaient tant ouï décrire : les vignes dépouillées, non comme par la main des vendangeurs, mais comme