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à louage, songeaient plutôt à se procurer des forces nombreuses pour assurer le succès de leurs entreprises qu’à les mettre en rapport avec leurs moyens de les payer, lesquels étaient pour l’ordinaire fort restreints, il s’ensuivait que la solde n’arrivait que tardivement, petit à petit, par à-comptes, et les dépouilles des pays sur lesquels venait s’abattre le fléau figuraient pour cette solde comme un supplément tacitement convenu. Cette sentence de Wallenstein est presque aussi fameuse que son nom. Il est plus aisé, disait-il, de tenir sur pied une armée de cent mille hommes qu’une de douze mille. Celle dont nous parlons était en grande partie composée des mêmes troupes qui, sous le commandement de ce chef, avaient désolé l’Allemagne dans cette guerre célèbre entre toutes, qui prit son nom des trente années de sa durée ; on en était alors à la onzième. Le régiment de Wallenstein lui-même s’y trouvait sous la conduite d’un de ses lieutenants ; la plupart des autres condottieri avaient commandé sous lui, et l’on y en comptait plusieurs de ceux qui, quatre ans après, devaient aider à le conduire à la triste fin qui lui était réservée.

L’armée était de vingt-huit mille fantassins et sept mille chevaux. En descendant de la Valteline pour se porter sur le Mantouan, elle devait suivre toute la ligne que l’Adda parcourt, comme lac sur deux branches, et ensuite de nouveau comme fleuve jusqu’à son embouchure dans le Pô, après quoi elle avait encore à côtoyer assez longtemps ce dernier fleuve. En tout huit journées de marche dans le duché de Milan.

Une grande partie des habitants se réfugiaient sur les montagnes, y emportant ce qu’ils avaient de mieux, et poussant devant eux leurs bestiaux ; d’autres restaient, ou pour ne pas abandonner quelque malade de leur famille, ou pour préserver leurs maisons de l’incendie, ou pour avoir l’œil sur des objets précieux qu’ils avaient cachés, enfouis sous terre ; d’autres aussi parce qu’ils n’avaient rien à perdre, ou même qu’ils comptaient sur quelque chose à gagner. Quand la troupe qui était la première en marche arrivait au lieu de son étape, son premier soin était de se répandre dans toutes les habitations et de l’endroit et des environs, et de les mettre tout simplement au pillage. Ce qui pouvait être consommé ou emporté disparaissait ; le reste était détruit ou saccagé ; les meubles devenaient du bois pour le feu ; les maisons, des écuries ; sans parler des violences, des sévices, des outrages de toute sorte sur les malheureux habitants. Tous les moyens, toutes les ruses que ceux-ci avaient pu mettre en œuvre pour sauver quelques effets étaient le plus souvent inutiles ou quelquefois ne servaient qu’à causer plus de mal. Les soldats, bien plus au fait que ces pauvres gens des stratagèmes de cet autre genre de guerre, fouillaient dans tous les recoins du logis, démolissaient, abattaient les planchers et les murailles ; ils reconnaissaient aisément dans les jardins la terre fraîchement remuée ; ils allaient jusque sur les montagnes s’emparer des bestiaux ; ils pénétraient, guidés par quelque vaurien de l’endroit, dans les grottes ignorées, pour y chercher l’homme un peu riche qui s’y était blotti ; ils le traînaient à sa demeure, et, par une torture de menaces et de coups, le forçaient à indiquer le lieu où était caché son trésor.