étaient Tarcagnota, Dolce, Rugati, Campana, Guazzo, les plus renommés en un mot de ceux dont cette science avait exercé la plume.
Mais qu’est-ce que l’histoire, disait souvent don Ferrante, sans la politique ? Un guide qui avance toujours sans avoir après lui personne à qui montrer le chemin, et par conséquent fait bien des pas en pure perte ; de même que la politique sans l’histoire est comme un homme qui marche sans guide. Il avait donc un rayon de sa bibliothèque affecté aux publicistes. Là, parmi plusieurs écrivains d’une importance et d’un renom secondaires, se montraient Bodin, Cavalcanti, Sansovino, Paruta, Boccalini. Il existait cependant sur ces sortes de matières deux livres que don Ferrante plaçait de beaucoup au-dessus de tous les autres, deux livres que jusqu’à une certaine époque il appela les premiers de tous, sans pouvoir jamais décider auquel des deux ce rang pouvait exclusivement appartenir. L’un était le Prince et les Discours du célèbre secrétaire florentin, esprit mauvais, j’en conviens, disait don Ferrante, mais profond ; l’autre, la Raison d’État, du non moins célèbre Giovanni Botero, honnête homme, disait-il encore, mais adroit et subtil. Mais peu de temps avant l’époque dans laquelle est circonscrite notre histoire, avait paru le livre qui mit fin à cette question de prééminence, en prenant le pas même sur les œuvres de ces deux matadors, comme les appelait don Ferrante ; le livre où se trouvent resserrées dans un étroit espace, et comme distillées, toutes les malices humaines, pour qu’on les puisse connaître, et toutes les vertus, pour qu’on les puisse pratiquer ; ce livre, tout petit, mais tout d’or, en un mot, le Statista regnante, de don Valeriano Castiglione, de cet homme illustre par-dessus tous, de qui l’on peut dire que les plus grands savants l’exaltaient à l’envi, que les plus grands personnages s’efforçaient de se l’enlever ; de cet homme que le pape Urbain VIII honora, comme on sait, de magnifiques éloges ; que le cardinal Borghese et le vice-roi de Naples, don Pierre de Tolède, pressèrent d’écrire, l’un la vie du pape Paul V, l’autre les guerres du roi catholique en Italie, tous deux inutilement ; de cet homme que Louis XIII, roi de France, d’après le conseil du cardinal de Richelieu, nomma son historiographe ; à qui le duc Charles-Emmanuel de Savoie conféra la même charge ; de cet homme enfin, et pour ne point parler de ses autres titres de gloire, que la duchesse Christine, fille du roi très-chrétien Henri IV, loua si dignement lorsqu’elle consigna dans un diplôme, parmi nombre de qualifications honorables qu’elle lui donnait, l’assurance qu’il obtenait désormais en Italie la réputation de premier écrivain du siècle[1]. »
Mais si, dans toutes les sciences qui viennent d’être mentionnées, don Fer-
- ↑ Il n’est pas besoin de faire remarquer l’intention de l’auteur dans toute cette gloire qu’il se plaît à accumuler sur la tête d’un homme dont le nom est tout à fait oublié de nos jours. Quant aux autres écrivains cités dans ce chapitre, nous avons cru, nous adressant à des lecteurs à qui la plupart d’entre eux sont nécessairement moins connus encore qu’ils ne peuvent l’être dans le pays auquel ils appartiennent presque tous, devoir donner une notice succincte sur chacun d’eux, pour nous associer à la pensée de l’auteur, qui a été évidemment de montrer sur quelles matières et avec quels guides s’exerçaient les études de ceux qui prétendaient à la science dans ce pays à l’époque où Manzoni a voulu le peindre.
On trouvera cette notice à la fin de l’ouvrage. (N. du T.)