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des degrés lumineux ou ténébreux, d’exaltation et de dégradation, de passages et de révolutions, en un mot des principes les plus certains et les plus cachés de la science. Et depuis vingt ans peut-être il soutenait, dans des disputes fréquentes et prolongées, la domification[1] de Cardan contre un autre savant attaché avec une sorte de fureur à celle d’Alchatitius ; par pure obstination, disait don Ferrante, qui, reconnaissant volontiers la supériorité des anciens, ne pouvait cependant souffrir cette manie de ne vouloir jamais donner raison aux modernes, alors même qu’elle était évidemment de leur côté. Il connaissait aussi d’une manière plus qu’ordinaire l’histoire de la science ; il savait au besoin citer les plus célèbres prédictions vérifiées, et raisonner avec autant de subtilité que d’érudition sur d’autres non moins fameuses qui avaient failli, pour démontrer que le tort n’en était point à la science, mais à ceux qui n’avaient pas su en faire l’application.

Il avait cherché à s’instruire dans la philosophie ancienne autant que ce pouvait être nécessaire, et il ajoutait tous les jours à ses connaissances dans cette partie par la lecture de Diogène Laërce. Comme cependant les systèmes, quelque attrayants qu’ils soient, ne peuvent tous être adoptés, et que pour être philosophique il faut choisir un auteur, don Ferrante avait fait choix d’Aristote, qui, disait-il, n’est ni ancien ni moderne, mais est philosophe sans plus. Il avait aussi diverses œuvres des disciples de ce maître les plus savants et les plus subtils : quant à celles de ses adversaires, il n’avait jamais voulu les lire, pour ne pas perdre son temps, disait-il, ni les acheter, pour ne pas perdre son argent. Toutefois, et par exception, il donnait place dans sa bibliothèque aux célèbres vingt-deux livres de Subtilitate et à quelques autres ouvrages anti-péripatéticiens de Cardan, par égard pour le savoir de cet auteur en astrologie ; disant que celui qui avait pu écrire le traité de Restitutione temporum et motuum cœlestium et le livre Duodecim geniturarum méritait d’être écouté lors même qu’il déraisonnait ; que le grand défaut de cet homme avait été d’avoir trop de génie, et que personne ne pouvait dire jusqu’où il serait arrivé en philosophie même s’il avait pris la bonne voie. Du reste, quoique don Ferrante fût regardé par les savants comme un péripatéticien consommé, il ne pensait pas lui-même en savoir assez à cet égard ; et plus d’une fois il dit, avec beaucoup de modestie, que l’essence, les universaux, l’âme du monde et la nature des choses n’étaient pas aussi faciles à entendre qu’on pourrait bien le croire.

Quant aux sciences naturelles, il s’en était fait un passe-temps plutôt qu’une étude. Les œuvres mêmes d’Aristote sur cette matière, comme aussi celles de Pline, étaient des pages qu’il avait plutôt lues qu’étudiées ; néanmoins, par cette lecture, par quelques notions qu’il avait incidemment recueillies dans des traités de philosophie générale et par ce qu’il avait pu saisir en parcourant la Magie naturelle de Porta, les trois histoires Lapidum, Animalium, Plantarum de Cardan, le traité des herbes, des plantes, des animaux, d’Albert le Grand, et

  1. Terme d’astrologie qui signifie l’action de domifier, c’est-à-dire de partager le ciel en douze parties, dites maisons, pour dresser un horoscope. (N. du T.)