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toujours le même poids et le même titre, s’est ensuite nommée sequin), il ordonna que cette somme fût toutes les années versée de ses fonds particuliers dans ceux de la mense épiscopale ; ne croyant pas qu’étant fort riche il lui fût permis de vivre de ce patrimoine des indigents. Il était ensuite si minutieusement économe pour lui-même qu’il ne quittait jamais un habit avant de l’avoir complètement usé ; unissant toutefois, ainsi que les écrivains contemporains en ont fait la remarque, au goût de la simplicité celui de la propreté la plus soignée ; deux habitudes dignes en effet d’être notées dans un temps où l’on voyait assez généralement la parure s’allier à la saleté. C’est encore dans le même esprit que, pour ne rien laisser perdre des restes de sa table toujours frugale, il les affecta à un hospice de pauvres. De semblables soins pourraient peut-être donner l’idée d’une vertu étroite, mesquine, d’un esprit s’attachant à des petitesses et peu capable de grandes vues, si nous n’avions encore sous les yeux, comme témoignage du contraire, cette bibliothèque Ambrosienne dont Frédéric conçut le plan avec une si noble magnificence, et qu’il éleva des fondements mêmes à si grands frais. Pour la meubler de livres et de manuscrits, il fit d’abord à l’établissement le don de ceux qu’il avait lui-même recueillis avec autant de soin que de dépenses, et en même temps il en fit chercher en Italie, en France, en Espagne, en Allemagne, en Flandre, en Grèce, au mont Liban, à Jérusalem, ayant commis huit hommes des plus savants et des plus habiles qu’il put trouver, pour parcourir dans ce but ces diverses contrées. Il parvint ainsi à réunir dans ce local environ trente mille volumes imprimés et quatorze mille manuscrits. Il joignit à la bibliothèque un collège de docteurs (ils furent créés au nombre de neuf et entretenus à ses frais tant qu’il vécut ; après lui, les revenus ordinaires ne pouvant suffire à cette dépense, ils furent réduits à deux) ; et le devoir de leur office était de cultiver diverses branches d’études, la théologie, l’histoire, les belles-lettres, les antiquités ecclésiastiques, les langues orientales, avec l’obligation pour chacun d’eux de publier quelque ouvrage sur la matière qui lui était assignée ; il y joignit encore un collège qu’il appela trilingue[1], pour l’étude du grec, du latin et de l’italien, un collège d’élèves qui devaient s’instruire dans ces sciences et ces langues, pour les professer eux-mêmes un jour ; il y joignit enfin une imprimerie de langues orientales, c’est-à-dire l’hébreu, le chaldéen, l’arabe, le persan, l’arménien ; une galerie de tableaux, une autre de statues, et une école des trois principales parties de l’art du dessin. Pour cette école, il put trouver des professeurs déjà formés ; pour les autres études, nous avons vu ce qu’il avait eu de peine à recueillir les livres et les manuscrits ; plus grande sans doute avait dû être la difficulté de se procurer des ouvrages modèles dans des langues beaucoup moins cultivées alors en Europe qu’elles ne le sont de nos jours ; et plus grande encore que pour les livres, celle de trouver les hommes. Il suffit de dire que, sur neuf docteurs, il en prit huit parmi les jeunes élèves du séminaire : on peut voir par là ce qu’il pensait des études et des réputations de ce temps ; et le jugement qu’il en portait se trouve d’ac-

  1. Des trois langues. (N. du T.)