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en éminences et en bas-fonds, selon la structure des deux montagnes et l’ouvrage des eaux qui en descendent. La rive extrême sur le lac, coupée par les torrents à leur embouchure, n’est à peu près que gravier et gros cailloux ; le reste présente des champs cultivés et des vignobles, au milieu desquels se voient des sillages, des maisons de campagne, des hameaux, et, sur quelques points, des bois qui s’étendent jusqu’à la montagne et s’y prolongent. Lecco, le principal de ces lieux d’habitation, et qui donne son nom à tout le territoire, est situé à peu de distance du pont, sur le bord du lac, et même se trouve en partie dans ses eaux lorsqu’elles s’élèvent. C’est maintenant un gros bourg qui tend à devenir ville. Au temps où se passèrent les événements que nous entreprenons de raconter, ce bourg déjà considérable était en même temps un château fortifié, et avait, en conséquence, l’honneur de loger un commandant, ainsi que l’avantage de posséder une garnison permanente de soldats espagnols qui enseignaient la modestie aux jeunes filles et aux femmes de l’endroit, caressaient de temps en temps les épaules de quelque mari ou de quelque père, et vers la fin de l’été ne manquaient jamais de se répandre dans les vignes pour amoindrir la quantité du raisin et soulager ainsi les paysans dans les travaux de la vendange. De l’un à l’autre de ces villages, des hauteurs au lac, d’une éminence à celle qui l’avoisine, couraient et courent encore de petits chemins et des sentiers, assez unis en quelques endroits, inégalement escarpés en d’autres, tantôt enfoncés et comme ensevelis entre deux murs d’où, levant la tête, vous n’apercevez qu’une étroite bande du ciel et quelque cime de montagne, tantôt élevés sur des plateaux ouverts : et de là s’offrent des points de vue plus ou moins étendus, mais toujours riches et toujours nouveaux en quelque chose, selon que, des divers sites où vous vous trouvez, vous embrassez plus ou moins de la vaste scène environnante, et que telle ou telle partie se détache ou se raccourcit, se montre ou disparaît tour à tour. Ici une échappée sur le vaste miroir des eaux, là une autre, là sa gracieuse variété s’étalant sur un plus grand espace. De ce côté le lac fermé à l’extrémité ou plutôt dérobé dans un groupe, un labyrinthe de montagnes, puis reparaissant et s’élargissant parmi d’autres montagnes qui se déploient une à une à vos regards, et que l’eau réfléchit, renversées avec les villages et les habitations situés sur les rives : du côté opposé un bras de fleuve devenant lac, puis fleuve encore, qui serpente dans son cours lumineux et va de même se perdre à travers les monts qui l’accompagnent en s’abaissant par degrés et se perdant presque, eux aussi, dans l’horizon. Le lieu d’où vous contemplez ces divers spectacles vous fait lui-même spectacle de toutes parts. La montagne dont vous parcourez les premiers plans déroule au-dessus de vous, tout autour de vous, ses cimes et ses précipices, marqués, dessinés, changeants, presque à chaque pas, ce qui vous avait paru un mont s’ouvrant et se contournant en une chaîne de monts, une crête vous apparaissant là où vous n’aviez vu que la pente : et l’aspect riant, l’aspect, pourrait-on dire, domestique de ces plans inférieurs tempère agréablement ce que présentent de sauvage les autres perspectives, en orne d’autant plus la magnifique grandeur.

C’est par l’un de ces petits chemins que, le 7 novembre 1628, vers la fin du