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va toujours limpide jusqu’au fleuve où il se jette. Parmi les douceurs et les pompes d’une haute existence, dès son plus jeune âge il prêta attention à ces paroles d’abnégation et d’humilité, à ces maximes sur la vanité des plaisirs, sur l’injustice de l’orgueil, sur la vraie dignité et les vrais biens, qui, accueillies ou non accueillies au cœur des hommes, sont transmises d’une génération à l’autre dans l’enseignement le plus élémentaire de la religion. Il prêta, dis-je, attention à ces paroles, à ces maximes ; il les prit au sérieux, les goûta, les trouva vraies ; il vit que telles ne pouvaient être d’autres paroles, d’autres maximes opposées qui, elles aussi, se transmettent de génération en génération, avec la même assurance, et quelquefois par les mêmes bouches ; et il se proposa de prendre pour règle de ses actions et de ses pensées celle de ces doctrines où était la vérité. Convaincu que la vie n’est pas destinée à être un poids pour le plus grand nombre et un plaisir pour quelques-uns, mais qu’elle est pour tous un emploi dont chacun rendra compte, enfant encore il chercha comment il pourrait faire de la sienne une vie utile et sainte.

En 1580, il manifesta la résolution de se vouer au ministère ecclésiastique et en prit l’habit des mains de son cousin Charles[1], qu’une opinion dès lors ancienne et universelle proclamait comme saint. Il entra peu après dans le collège fondé par celui-ci à Pavie, et qui porte encore le nom de leur famille ; et là, s’appliquant assidûment aux occupations qu’il trouva prescrites par la règle, il s’en assigna volontairement deux autres ; ce fut d’enseigner la doctrine chrétienne aux gens du peuple les plus grossiers et les plus dénués de ressources, et de visiter, servir, consoler et secourir les malades. Il se servit de l’autorité que tout lui donnait en ce lieu, pour engager ses compagnons d’étude à le seconder en de semblables œuvres ; et il exerça dans tout ce qui était bien en soi et profitable aux autres, comme une primauté d’exemple, une primauté que ses qualités personnelles auraient suffi pour lui assurer, lors même qu’il eût été le dernier de tous par sa condition. Quant aux avantages d’un autre genre que sa position dans le monde aurait pu lui procurer, non-seulement il ne les rechercha point, mais il mit tous ses soins à les fuir. Il voulut moins encore que la frugalité pour sa table, moins que la simplicité dans ses vêtements ; et ainsi de tout dans son genre de vie et ses habitudes. Il ne crut pas devoir y rien changer, pour vives que fussent les plaintes et les remontrances de quelques-uns de ses proches sur ce qu’il dérogeait ainsi, selon eux, à la dignité de son nom. Il eut une autre guerre à soutenir contre les chefs du collège qui, furtivement et comme par surprise, cherchaient à mettre devant lui, sur lui, autour de lui, quelque chose de mieux approprié à l’élévation du rang, quelque chose qui pût le faire distinguer des autres et figurer comme le prince du lieu ; soit qu’ils crussent par là capter à la longue sa bienveillance, soit qu’ils fussent mus par ce dévouement servile qui tire vanité de l’éclat d’autrui et s’en fait un sujet de bonheur, soit encore que ce fussent de ces hommes prudents qui s’offusquent des vertus comme des vices, vont prêchant que la perfection réside dans le juste

  1. Saint Charles Borromée. (N. du T.)