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enfin quelques écus d’or et les mit dans la main du caporal, auquel il dit d’en garder la moitié pour lui, et départager le reste entre ses hommes. Tout cela fait, ne gardant que le Griso, qui avait également déposé son fusil, il entreprit à pied la montée. En attendant, les trois bravi que nous venons de nommer, et le Squinternotto qui était le quatrième (quels beaux noms pour nous les avoir conservés si soigneusement[1] !), demeurèrent avec les trois de l’Innomé et avec le jeune garçon élevé pour la potence, et tous se mirent à jouer, à trinquer et à se raconter réciproquement leurs prouesses.

Un autre bravo de l’Innomé, qui montait, rejoignit peu après don Rodrigo ; il le regarda, le reconnut et marcha de compagnie avec lui, ce qui sauva à celui-ci l’ennui d’avoir à décliner son nom et de dire ce qu’il était à tous les autres qu’il pouvait rencontrer et qui ne le connaissaient point. Arrivé au château, et y ayant été introduit (en laissant toutefois le Griso à la porte), on le fit passer par un labyrinthe de corridors obscurs et par plusieurs salles tapissées de mousquets, de sabres, de pertuisanes, et dans chacune desquelles étaient quelques bravi faisant la garde : puis, après avoir attendu quelque temps, il fut admis dans celle où se trouvait l’Innomé.

Celui-ci vint à lui, répondant à son salut, mais non sans le regarder aux mains et au visage, comme il le faisait par habitude et en quelque sorte involontairement envers toute personne dont il recevait la visite, fût-elle de ses amis les plus anciens et les mieux éprouvés. Il était grand, brun, chauve ; le peu de cheveux qui lui restaient étaient blancs : des rides sil-

  1. Le Gris, le Va droit devant lui, le Montagnard, le Trou obscur, le Faiseur de désordres, tel est à peu près le sens de ces surnoms, composés pour la plupart de mots lombards agencés d’une manière plus ou moins bizarre.