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lait demeurer librement en ville, jouir des aises, des plaisirs, des honneurs de la vie civile : et pour cela il lui fallait user de certains ménagements, tenir compte des liens de parenté, cultiver l’amitié de personnes haut placées, avoir une main sur la balance de la justice pour la faire au besoin pencher de son côté, ou pour la faire disparaître, ou bien encore pour en donner, dans l’occasion, sur la tête de ceux dont on pouvait plus facilement venir à bout de cette manière que par les armes de la force privée. Or l’intimité, disons mieux, une alliance avec un homme de cette sorte, avec un ennemi déclaré de la force publique, ne lui aurait certainement pas donné beau jeu dans un tel plan de conduite, surtout auprès du comte son oncle. Ce qu’il ne pouvait cependant cacher d’une semblable amitié pouvait passer pour l’effet de rapports indispensables avec un homme dont l’inimitié était si dangereuse, et recevoir ainsi son excuse de la nécessité : car celui qui a pris la charge de veiller aux besoins des autres, et qui n’en a pas la volonté ou n’en trouve pas le moyen, consent à la longue à ce qu’on y veille soi-même jusqu’à un certain point ; et, s’il ne consent pas en termes précis, il ferme l’œil.

Un matin, don Rodrigo sortit, à cheval, en équipage de chasse, avec une petite escorte de bravi à pied : le Griso à l’étrier de sa monture, quatre autres derrière ; et il s’achemina vers le château de l’Innomé.