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ces passages, en un mot, qui demandent un peu de rhétorique, il est vrai, mais une rhétorique mesurée, fine, de bon goût, cet homme ne manque jamais de mettre de celle dont son préambule nous a fourni l’échantillon. Et alors, accolant avec une admirable habileté les qualités les plus disparates, il trouve le moyen d’être tout à la fois trivial et affecté dans la même page, dans la même période, dans le même mot. En somme, déclamations ampoulées composées à force de solécismes de bas lieu, et partout cette gaucherie prétentieuse qui est le caractère propre des écrits de ce siècle dans nos contrées, voilà ce que vous offre cette œuvre. En vérité, ce n’est pas chose à présenter aux lecteurs de nos jours ; ils sont trop avisés, trop dégoûtés de ce genre d’extravagances. Il est encore heureux que cette bonne pensée me soit venue au commencement de ce disgracieux travail, et je m’en lave les mains. — Tandis, cependant, que je refermai la vieille paperasse pour la laisser là, je ne pouvais m’empêcher de regretter qu’une histoire aussi belle fût destinée à demeurer inconnue ; car, comme histoire, et sans que j’ose affirmer que le lecteur n’en jugera pas autrement, elle m’avait effectivement paru belle, fort belle. — Mais, pensai-je alors, ne pourrait-on pas prendre de ce manuscrit la série des faits et en refaire la diction ? — Aucune objection plausible ne s’étant présentée, le parti fut aussitôt embrassé. Et voilà l’origine du présent livre exposée avec une sincérité égale à l’importance du livre même.

Quelques-uns de ces faits cependant, certains détails de mœurs décrits par notre auteur étaient pour nous si nouveaux, nous semblaient si étranges, pour ne rien dire de plus, qu’avant d’y ajouter foi, nous avons voulu interroger d’autres témoins ; et nous nous sommes mis à fouiller dans les mémoires du temps pour nous assurer si réellement le monde marchait alors de cette manière. Cette recherche a dissipé tous nos doutes. À tous les pas, nous rencontrions des choses semblables ou même plus surprenantes ; et, ce qui nous a paru plus décisif, nous avons même retrouvé quelques personnages dont, jusque-là, n’en ayant eu connaissance que par notre manuscrit, nous avions mis en doute l’existence. Dans l’occasion, nous citerons quelques-uns de ces témoignages, pour déterminer la foi du lecteur là où, par l’étrangeté des faits, il pourrait être le plus tenté de la refuser.

Mais, en rejetant comme intolérable la diction de notre auteur, quelle diction y avons-nous substituée ? Ici réside la question.

Quiconque, sans en être prié, se mêle de refaire l’œuvre d’autrui, s’ex-