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dit et fait, trouvé ou non trouvé, pris et laissé, diligenter referatis[1]. M. le podestat, après s’être assuré, par tous les moyens en son pouvoir, que l’individu mentionné n’était pas retourné dans son pays, fait appeler le consul du village et se fait mener par lui à la maison indiquée, accompagné d’un notaire et avec une grande suite de sbires. La maison est fermée ; celui qui a les clefs est absent ou ne se laisse pas trouver. On enfonce la porte, on cherche avec tout le soin convenable, c’est-à-dire que l’on procède comme dans une ville prise d’assaut. Le bruit de cette expédition se répand immédiatement dans toute la contrée ; il arrive aux oreilles du père Cristoforo, lequel, surpris non moins qu’affligé, questionne de toutes parts pour se procurer des éclaircissements sur la cause d’un événement si imprévu ; mais il ne recueille que des conjectures en l’air, et il écrit aussitôt au père Bonaventure, de qui il espère recevoir des renseignements plus précis. Cependant les parents et les amis de Renzo sont cités pour déposer sur ce qu’ils peuvent connaître de ses mauvaises qualités. S’appeler Tramaglino est un malheur, une honte, un délit : le pays est sens dessus dessous. Peu à peu on en vient à savoir que Renzo s’est sauvé des mains de la justice au beau milieu de Milan, et qu’ensuite il a disparu. Le bruit court qu’il a fait quelque chose de très-fort ; mais ce qu’il a fait, on ne sait le dire, ou on le raconte de cent façons. Plus c’est fort, moins on y croit dans le pays, où Renzo est connu pour un honnête jeune homme : la plupart présument et vont se disant à l’oreille l’un à l’autre que c’est une machination ourdie par ce mauvais et trop puissant seigneur don Rodrigo, pour perdre son pauvre rival. Tant il est vrai qu’en jugeant par induction et sans connaître les faits autant que c’est nécessaire, on fait quelquefois grand tort, même aux méchants.

Mais nous, les faits à la main, comme on dit, nous pouvons affirmer que, si cet honnête homme n’avait point pris part au malheur de Renzo, il en ressentit autant de plaisir que si c’eût été son propre ouvrage, et s’en félicita d’un ton de triomphe avec ses affidés, surtout avec le comte Attilio. Celui-ci, selon son premier dessein, aurait déjà dû être de retour à Milan ; mais, à la nouvelle du tumulte ou de ces promenades de la canaille en toute autre attitude que de recevoir des coups de bâton, il avait jugé à propos de prolonger son séjour à la campagne jusqu’au retour du calme ; d’autant plus qu’ayant offensé bien du monde, il avait quelque raison de craindre que parmi tant de gens dont l’impuissance était la seule cause du repos où ils se tenaient, il s’en trouvât quelqu’un qui s’enhardît par les circonstances et jugeât le moment favorable pour les venger tous à la fois. Ce retard ne fut pas de longue durée ; l’ordre venu de Milan pour les poursuites à exercer contre Renzo montrait déjà que les choses avaient repris leur cours ordinaire ; et presque dans le même moment on en eut la certitude. Le comte Attilio partit immédiatement, exhortant son cousin à persister dans son entreprise, à la mener à son terme, et lui promettant, de son côté, de mettre sur-le-champ la main à l’œuvre pour le débarrasser du moine, grande affaire dans laquelle l’heureux incident relatif à son malotru de

  1. Vous ferez soigneusement votre rapport.