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CHAPITRE XVII.


Il suffit souvent d’une envie pour ne pas laisser un homme en repos ; jugez ce que c’est quand elles sont deux, et en guerre l’une avec l’autre. Depuis plusieurs heures, comme vous savez, le pauvre Renzo en avait deux en semblable disposition, l’envie de courir et celle de demeurer caché ; et les fâcheuses paroles du marchand les avaient du même coup portées l’une et l’autre à l’extrême. Son aventure avait donc fait du bruit ; on voulait donc l’avoir à tout prix ; qui sait combien de sbires sont en campagne pour lui donner la chasse ? quels ordres ont été expédiés pour le découvrir dans les villages, dans les auberges, sur les chemins ? À la vérité, il pensait qu’après tout il n’y avait que deux sbires qui le connussent, et qu’il ne portait pas son nom écrit sur son front ; mais il se rappelait certaines histoires qu’il avait entendu raconter, de fugitifs découverts et saisis par des circonstances extraordinaires, reconnus à leur démarche, à leur air inquiet, à d’autres signes auxquels ils ne songeaient pas ; et tout lui faisait ombrage. Quoique, au moment où il sortait de Gorgonzola, l’horloge du lieu sonnât vingt-quatre heures[1], et que l’obscurité qui s’approchait diminuât toujours

  1. Dans plusieurs contrées de l’Italie on conserve encore l’usage, qui y avait été comme général jusqu’à la fin du siècle dernier, de régler les vingt-quatre heures du jour d’après la marche du soleil, de manière que la vingt-quatrième heure est vers l’entrée de la nuit, et la première une heure après, d’où il suit, que le point de départ varie sans cesse dans tout le cours de l’année pour les vingt-quatre heures, lesquelles d’ailleurs se comptent, consécutivement et non par deux fois douze heures, comme cela se fait ailleurs. Il était donc un peu plus de cinq heures, selon notre système, vers la mi-novembre, lorsque l’horloge de Gorgonzola en sonna vingt-quatre.