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donner de soupçon à personne, il voit pendre un bout de branchage servant d’enseigne sur la porte d’une assez pauvre maison isolée, hors d’un hameau. Depuis quelque temps il sentait s’accroître le besoin de restaurer ses forces ; il pensa que cet endroit serait bon pour y faire d’une pierre deux coups ; il entra. Il n’y avait qu’une vieille femme ayant sa quenouille au côté et son fuseau à la main. Il demanda un morceau à manger. La vieille lui offrit un peu de fromage et du bon vin : il accepta le fromage, la remercia du vin (il l’avait pris en aversion pour le tour qu’il l’avait vu lui jouer la veille), et s’assit en priant la bonne femme de se dépêcher. Celle-ci n’eut besoin que d’un moment pour le servir, et tout aussitôt elle se mit à accabler son hôte de questions et sur lui-même et sur les grands événements de Milan ; car le bruit en était arrivé jusque-là. Renzo sut non-seulement éluder les questions avec beaucoup d’adresse, mais tirant avantage de la difficulté même, il usa pour son dessein de la curiosité de la vieille qui lui demandait où se dirigeait son voyage.

« J’ai, répondit-il, à aller en plusieurs endroits, et s’il me reste un peu de temps, je voudrais aussi passer par ce village assez gros, sur la route de Bergame, près de la frontière, mais pourtant sur les terres de Milan… Comment s’appelle-t-il donc ? Il y en aura bien quelqu’un, se disait-il en lui-même.

— Vous voulez dire Gorgonzola, répondit la vieille.

— Gorgonzala ! répéta Renzo, comme pour mieux se mettre le mot en mémoire. Est-ce bien loin d’ici ? reprit-il ensuite.

— Je ne sais pas au juste ; il peut y avoir dix, peut-être douze milles. Si quelqu’un de mes enfants se trouvait à la maison, il vous le dirait mieux.

— Et croyez-vous qu’on puisse y aller par ces jolis petits chemins, sans prendre la grande route, où il y a une poussière, une poussière ! Il y a si longtemps qu’il n’a plu !

— Je pense que oui ; vous pouvez demander au premier village que vous trouverez en allant à droite ; et elle le lui nomma.

— C’est bien, » dit Renzo ; il se leva, prit un morceau de pain qui lui était resté de son maigre déjeuner, pain bien différent de celui qu’il avait trouvé la veille au pied de la croix de San Dionigi ; il paya son compte, sortit et prit à droite. Et pour ne pas vous allonger l’histoire plus qu’il n’en est besoin, avec le nom de Gorgonzola à la bouche, de village en village, il y arriva une heure environ avant la soirée.