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d’en changer la tête, on lui ôta le sceptre de la main pour y substituer un poignard, et on lui donna le nom de Marcus Brutus. Elle resta ainsi accommodée une couple d’années ; mais, un matin, certaines gens qui n’avaient pas de sympathie pour Marcus Brutus ou même devaient lui garder en secret une dent, jetèrent une corde sur la statue, la tirèrent en bas, lui firent mille avanies ; après quoi, mutilée qu’elle restait et réduite à un torse informe, ils la traînèrent dans les rues, non sans force clameurs et grandes marques de fureur de la part de ces personnages qui, lorsqu’ils furent bien lassés, la roulèrent je ne sais où. Qui l’aurait dit à Andrea Biffi, lorsqu’il la sculptait ?

De la place des Mercanti, la marmaille, passant sous cet autre arceau qui se trouve là, fut s’entasser dans la rue des Fustaguai, et de là s’éparpilla dans le Cordusio. Tous, en y arrivant, portaient aussitôt leurs regards vers le four qui leur avait été indiqué. Mais, au lieu de la multitude d’amis qu’ils s’attendaient à y trouver la main déjà à l’œuvre, ils ne virent qu’un petit nombre d’individus se tenant, avec un air d’hésitation, à quelque distance de la boutique, qui était fermée, et aux fenêtres des gens armés se montrant prêts à se défendre. À cette vue, qui s’étonne, qui jure, qui rit, qui se tourne pour avertir ceux qui viennent derrière, qui s’arrête, qui veut rebrousser chemin, qui dit : « En avant, en avant ! » On poussait et on retenait ; la marche était suspendue, il y avait indécision, et un bruit confus régnait de délibérations et de débats. En ce moment, une maudite voix éclata par ces mots au milieu de la foule : « La maison du vicaire de provision est ici près : allons faire justice et la saccager. » Ce fut comme un ressouvenir général de chose convenue, plutôt que l’adhésion à une proposition. « Chez le vicaire ! chez le vicaire ! » est le seul cri que l’on puisse entendre. La tourbe tout entière s’ébranle et marche vers la rue où se trouvait la maison qui venait d’être si malencontreusement nommée.

    l’existence éphémère de la République cisalpine née sous les auspices de la République française, à la fin du siècle dernier, et ensuite du mouvement réactionnaire qui se fit lorsque le gouvernement autrichien reprit possession du Milanais. (N. du T.)