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et tous, au moment où Gertrude parut, la saluèrent de ce nom), la sposina eut fort à faire pour répondre aux compliments qui lui pleuvaient de tous côtés. Elle sentait bien que, par chacune de ses réponses, elle acceptait ces félicitations et en confirmait le sujet ; mais comment répondre autrement ? Peu après qu’on fut sorti de table, vint l’heure de la trottata[1]. Gertrude monta en carrosse avec sa mère et deux de ses oncles qui avaient été du dîner. Après le tour ordinaire, on se rendit à la Strada Marina, qui alors traversait l’espace occupé aujourd’hui par le jardin public, et c’était le lieu où les gens de qualité venaient en voiture se délasser des travaux de la journée. Les oncles aussi parlèrent à Gertrude comme le comportait la circonstance : et l’un d’eux qui, plus que l’autre, paraissait connaître chaque personne, chaque équipage, chaque livrée, et avait à tout moment quelque chose à dire sur monsieur tel ou madame telle que l’on rencontrait, s’adressa tout à coup à sa nièce et lui dit : « Ah ! friponne ! vous tournez le dos, vous, à toutes ces vanités. Vous êtes une fine commère ; vous nous plantez-là dans nos misères, nous autres pauvres mondains, pour vous retirer dans une vie de bonheur et vous rendre en paradis sur des roulettes. »

Vers la nuit on rentra ; et les domestiques, descendant à la hâte avec des flambeaux à la main, annoncèrent que nombre de personnes étaient venues en visite et attendaient. La nouvelle s’était répandue, et les parents et amis venaient faire acte de politesse et de devoir. On entra dans le salon de compagnie. La sposina en fut l’idole, l’amusement, la victime. Chacun la voulait pour soi ; qui se faisait promettre des confitures ; qui promettait des visites ; celui-ci parlait de la mère une telle sa parente ; celle-là de la mère telle autre qu’elle connaissait ; ici on vantait le climat de Monza ; là c’étaient les discours

  1. Promenade en voiture. Il est encore d’usage, dans les principales villes d’Italie, que toutes les personnes ayant un équipage s’en servent, vers la fin du jour, pour aller faire un tour de promenade qui est presque toujours le même, et, en revenant, toutes ces voitures s’arrêtent et se réunissent sur un point donné, ordinairement près d’un café d’où l’on se fait apporter des rafraîchissements.