Le personnage appelé ouvrit la porte tout juste autant qu’il le fallait pour que lui et son frère pussent passer l’un après l’autre. La raie de lumière, qui sortit inopinément par cette ouverture et se dessina sur le carrelage obscur du palier, fit tressaillir Lucia, comme si elle était découverte. Les frères étant entrés, Tonio tira la porte après lui. Les fiancés demeurèrent immobiles dans les ténèbres, prêtant l’oreille, retenant leur souffle ; le bruit le plus fort était le battement que faisait le pauvre cœur de Lucia.
Don Abbondio, assis, comme nous l’avons dit, sur un vieux fauteuil, était enveloppé d’une vieille soutane, coiffé d’un vieux bonnet, à bourrelet circulaire[1] qui lui faisait comme une bordure autour du visage, sur lequel une petite lampe projetait sa faible lumière. Deux épaisses touffes de cheveux, qui s’échappaient de dessous le bonnet, deux épais sourcils, deux épaisses moustaches, un épais bouquet de barbe au menton, tout cela blanchi par les ans, tout cela épars sur cette face brune et ridée, pouvait se comparer à des buissons couverts de neige sortant d’une ruine de rochers, au clair de la lune.
« Ah ! ah ! fut son salut pendant qu’il ôtait ses lunettes et les mettait dans le petit livre.
— Monsieur le curé dira que je suis venu tard, dit Tonio en s’inclinant, ce que fit aussi, mais plus gauchement, Gervaso.
— Sûrement qu’il est tard : tard de toutes les manières. Vous savez, n’est-ce pas, que je suis malade ?
— Oh ! j’en suis fâché.
— Vous devez l’avoir entendu dire ; je suis malade, et je ne sais quand je pourrai sortir… Mais pourquoi avez-vous mené avec vous ce… ce garçon ?
— Comme ça, par compagnie, monsieur le curé.
— Allons, voyons.
— Ce sont vingt-cinq berlinghe neuves, de celles qui ont le saint Ambroise à cheval, dit Tonio en tirant un petit paquet de sa poche.
— Voyons, répéta don Abbondio ; et, prenant le paquet, il remit ses lunettes, l’ouvrit, en sortit les berlinghe, les compta, les tourna, les retourna, les trouva sans défaut.
— Maintenant, monsieur le curé, vous me donnerez le collier de ma Tecla.
— C’est juste, répondit don Abbondio ; puis il alla vers une armoire, tira une clef de sa poche, et, regardant autour de lui comme pour tenir éloignés les spectateurs, il ouvrit en partie l’une des portes, remplit de sa personne l’ouverture, mit la tête dedans pour regarder, et un bras pour prendre le collier, le prit, et, refermant l’armoire, le remit à Tonio, en disant : C’est-il bien ?
— À présent, dit Tonio, ayez la bonté de mettre un peu de noir sur du blanc.
— Encore ceci ! dit don Abbondio ; ils les savent toutes. Eh ! comme le monde est devenu méfiant ! Est-ce que vous ne vous fiez pas à moi ?
— Comment, monsieur le curé ! Si je m’y fie ? Vous me faites injure. Mais,
- ↑ Papalinne, bonnet du pape, tel qu’on le voit dans la plupart des portraits du Souverain Pontife.