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CHAPITRE VIII.


« Carnéade ! Qui était cet homme-là ? » se demandait à lui-même don Abbondio assis sur son grand fauteuil, dans une chambre au premier étage, avec un petit livre ouvert devant lui, lorsque Perpetua entra pour lui porter le message. « Carnéade ! c’est un nom qu’il me semble bien avoir lu quelque part ou entendu prononcer ; ce devait être un homme d’études, un grand lettré des temps anciens. C’est un nom dans ce genre-là ; mais qui diable était-ce donc ? » Tant le pauvre homme était loin de prévoir l’orage qui se formait sur sa tête !

Il faut savoir que don Abbondio se plaisait à faire chaque jour un peu de lecture, et un curé, son voisin, qui avait une petite bibliothèque, lui prêtait un volume après l’autre, le premier qui lui tombait sous la main. Celui sur lequel méditait en ce moment don Abbondio, convalescent de la fièvre de la peur, plus guéri même (quant à la fièvre), qu’il n’aurait voulu le laisser croire, était un panégyrique en l’honneur de saint Charles, prononcé, deux ans avant, avec grande emphase et écouté avec une admiration non moins grande, dans la cathédrale de Milan. Le saint y était comparé, pour l’amour de l’étude, à Archimède ; et jusque-là don Abbondio ne s’était pas trouvé embarrassé, parce que Archimède a produit des œuvres si curieuses, a tant fait parler de lui que, pour en savoir quelque chose, il n’est pas besoin d’une érudition très-vaste. Mais, après Archimède, l’orateur appelait aussi à figurer dans une comparaison Carnéade ; et ici le lecteur s’était vu arrêté tout court. Ce fut dans ce moment que Perpetua entra pour annoncer la visite de Tonio.

« À cette heure-ci ? dit aussi don Abbondio, comme c’était tout simple.

— Que voulez-vous ? Ces gens-là n’ont pas de discrétion ; mais si vous ne le prenez à la volée…

— En effet, si je ne le prends pas dans ce moment, qui sait quand je pour-