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Telle était la position de ces pères, lorsque la guerre allumée entre l’Angleterre et la France occasionna à la société le fameux procès qui a entraîné sa destruction. Les jésuites faisaient le commerce à la Martinique ; la guerre leur ayant causé des pertes, ils voulurent faire banqueroute à leurs correspondants de Lyon et de Marseille ; un jésuite de France, à qui ces correspondants s’adressèrent pour avoir justice, leur parla comme le rat retiré du monde :


Mes amis, dit le solitaire,
Les choses d’ici-bas ne me regardent plus,
En quoi peut un pauvre reclus
Vous assister ? Que peut-il faire
Que de prier le ciel qu’il vous aide en ceci ?
J’espère qu’il aura de vous quelque souci[1].


Il leur offrit de dire la messe pour leur obtenir de Dieu, au lieu de l’argent qu’ils demandaient, la grâce de souffrir chrétiennement leur ruine. Ces négociants, volés et persiflés par les jésuites, les attaquèrent en justice réglée ; ils prétendirent que ces pères, en vertu de leurs constitutions, étaient solidaires les uns pour les autres, et que ceux de France devaient acquitter les dettes des missions américaines. Les jésuites se croyaient si sûrs de la bonté de leur cause, qu’ayant le droit d’être jugés au grand conseil, ils demandèrent, pour rendre leur triomphe plus éclatant et plus complet, que le procès fût porté à la grande Chambre du Parlement de Paris. Ils y perdirent tout d’une voix, et à la grande satisfaction du public, qui en témoigna sa joie par des applaudissements universels ; on les condamna à payer des sommes immenses à leurs parties, avec défense à eux de faire le commerce.

Ce ne fut là que le commencement de leur malheur. Dans le procès qu’ils soutenaient, il avait été question de

  1. Fables de La Fontaine, liv. VII, fable 3.