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Cette réponse qu’on a voulu tourner en ridicule, était cependant très sage ; le prince, comme chef de l’État, n’a rien à craindre de l’athée qui se tait et ne dogmatise pas. Ce malheureux, très coupable aux yeux de Dieu et de la raison, n’est nuisible qu’à lui-même et non aux autres ; l’homme de parti, le controversiste trouble la société par ses vaines disputes. Ce n’est pas ici le cas de la loi de Solon, par laquelle tous ceux qui ne prenaient point parti dans les séditions étaient déclarés infâmes. Ce grand législateur était trop éclairé pour mettre de ce nombre les disputes de religion, si peu faites pour intéresser de vrais citoyens il eût plutôt attaché de l’honneur à les fuir et à les mépriser.

Nos ténébreuses querelles théologiques ne bornent pas au dedans du royaume le tort et le mal qu’elles nous causent ; elles avilissent aux yeux de l’Europe notre nation déjà trop humiliée par ses malheurs ; elles font dire aux étrangers et jusqu’aux Italiens mêmes, que les Français ne savent se passionner que pour des billets de confession, ou pour des bouffons, pour la bulle Unigenitus ou pour l’Opéra-Comique[1]. Telle est l’idée très injuste qu’une poignée de fanatiques donne à toute l’Europe de la nation française, dans un temps néanmoins où la partie vraiment estimable de cette nation est plus éclairée que jamais, plus occupée d’objets utiles, et plus pleine de mépris pour les sottises et pour les hommes qui la déshonorent.

Ce n’est pas seulement l’honneur de la France qui est intéressé à l’anéantissement de ces vaines disputes ; l’honneur de la religion l’est encore davantage par les obstacles qu’elles opposent à la conversion des incrédules. Je suppose qu’un de ces hommes qui ont eu le malheur, de nos jours, d’attaquer la religion dans leurs écrits, et contre

  1. C’est ce que mille Français ont entendu dire en Angleterre, en Allemagne et même à Rome.