Page:Alembert - La Suppression des jésuites.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette histoire de l’hégire jésuitique[1], au moins en Portugal et en France, et les jansénistes espèrent que ce nouveau comput ecclésiastique ne tardera pas à être admis dans les autres pays catholiques. C’est le but des prières ferventes qu’ils adressent à Dieu pour le plus grand bien de leurs ennemis et pour faire rentrer la Société en elle-même.

Rien ne sera sans doute plus profitable et plus flatteur pour eux. On sait bien que tout janséniste, pourvu qu’il puisse dire comme les sauvages de Candide, mangeons du jésuite, sera au comble du bonheur et de la joie ; mais il reste à savoir quelle utilité la raison, qui vaut bien le jansénisme, tirera enfin d’une proscription tant désirée. Je dis la raison et non pas l’irréligion ; c’est une précaution nécessaire à prendre : car la théologie des jansénistes est, comme nous l’avons vu, si raisonnable, qu’ils sont sujets à regarder les mots de raison et d’irréligion comme synonymes. Il est certain que l’anéantissement de la Société peut procurer à la raison de grands avantages, pourvu que l’intolérance jansénienne ne succède pas en crédit à l’intolérance jésuitique ; car on ne craint point de l’avancer, entre ces deux sectes, l’une et l’autre méchantes et pernicieuses, si on était forcé de choisir, en leur supposant le même degré de pouvoir, la Société qu’on vient d’expulser serait encore la moins tyrannique. Les jésuites, gens accommodants, pourvu qu’on ne se déclare pas leur ennemi, permettent assez qu’on pense comme on voudra. Les jansénistes, sans égards comme sans lumières, veulent qu’on pense comme eux : s’ils étaient les maîtres, ils exerceraient sur les ouvrages, sur les esprits, sur les discours, sur les mœurs l’inquisition la plus violente. Heureusement, il n’est pas fort à craindre qu’ils prennent jamais beaucoup de crédit ; le rigorisme qu’ils professent ne fera pas

  1. On sait qu’hégire signifie fuite, expulsion.