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La persécution exercée par les jésuites avec acharnement contre le malheureux moine protégé par Benoît xiv avait fort irrité ce pape contre eux ; il ne perdait aucune occasion de leur donner tous les dégoûts qui dépendaient de lui. Les jansénistes même ne doutent pas que s’il eût vécu, il n’eût profité de la circonstance de leur destruction en Portugal et en France pour anéantir la Société ; mais quoi qu’on en dise il n’y a pas d’apparence qu’un pape, quel qu’il puisse être, pousse jamais jusqu’à ce point l’oubli de ses vrais intérêts. Les jésuites sont les janissaires du souverain pontife, redoutables quelquefois à leur maître, comme ceux de la Porte ottomane, mais nécessaires comme eux au soutien de l’empire. L’intérêt de la cour de Rome est de les réprimer et de les conserver ; Benoît xiv avait trop d’esprit pour ne pas penser de La sorte. Le czar Pierre, il est vrai, cassa d’un seul coup 40 000 strélitz révoltés qui étaient ses meilleurs soldats ; mais le czar avait vingt millions de sujets, et pouvait refaire d’autres strélitz et le pape, dont toute la puissance ne se soutient que par la milice spirituelle qui est à ses ordres, ne pourrait pas aisément en refaire une semblable aux jésuites, aussi bien disciplinée, aussi dévouée à l’Église romaine et aussi redoutable aux ennemis du souverain pontife.

Ce que l’on peut assurer avec vérité, c’est que le pape Benoît xiv se serait mieux conduit dans leur affaire que son successeur Clément xiii ; il n’eût point comme celui-ci écrit au roi qui lui faisait l’honneur de le consulter, qu’il fallait que les jésuites restassent comme ils étaient : il eût répondu d’une manière équivoque, comme il avait fait au sujet des sacrements refusés aux jansénistes ; il eût gagné du temps, il eût accordé aux parlements quelques modifications de l’institut (au moins par rapport aux jésuites français) ; il eût flatté et intéressé les jansénistes par quelque bulle en faveur de la grâce efficace : enfin, il eut