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et plus graves. Mais enfin elle est détruite, et la raison est vengée.

Qu’importe de quel bras Dieu daigne se servir ?

À ces réflexions, on peut enjoindre une autre non moins importante, et faite pour servir de leçon à tous les religieux qui seraient tentés de ressembler aux jésuites. Si ces pères eussent été assez raisonnables pour borner la considération de la Société à celle qu’elle pouvait tirer des sciences et des lettres, cette considération aurait été plus solide, moins enviée et plus durable. C’est l’esprit d’intrigue et d’ambition qu’ils ont montré, ce sont les vexations qu’ils ont exercées, c’est en un mot leur puissance énorme (ou crue telle), et surtout l’insolence qu’ils y joignaient qui les a perdus. On ne saurait croire jusqu’à quel point ils avaient porté l’audace dans ces derniers temps ; voici un trait assez récent qui achèvera de les faire connaître.

Benoît xiv, au commencement de son pontificat, accepta la dédicace d’un ouvrage que le père Norbert, capucin, avait fait contre les jésuites car ils étaient parvenus à armer contre eux jusqu’aux capucins : Tu quoque Brute[1], s’écriait à cette occasion un fameux satirique ! Le pape cru pouvoir permettre à Norbert de rester à Rome sous sa protection. Il n’en eut pas le crédit ; les jésuites firent si bien par leurs manœuvres, qu’ils parvinrent à chasser le capucin non seulement des États du pape, mais même de tous les États catholiques ; il fut obligé de se réfugier à Londres, et ne trouva qu’en 1759 un asile en Portugal lorsque la Société en fut expulsée ; il eut la satisfaction, comme il le raconte lui-même, d’assister au supplice de Malagrida, et de dire la messe pour le repos de son âme, tandis qu’on achevait de brûler son corps.

  1. Et toi aussi, mon cher Brutus ! On assure que le satirique donnait au mot brute une interprétation plus maligne que nous ne prétendons pas approuver.