Ce qui n’est pas moins singulier, c’est que la nation française, dans un temps où elle laissait voir sa faiblesse hors de chez elle par une guerre malheureuse, ait fait cet acte de vigueur sur ses propres foyers ; il est vrai qu’en y réfléchissant on trouverait peut-être dans le même principe la cause de tant de faiblesse au dehors, et d’une si grande force, ou si l’on veut, d’une si grande fermentation au dedans ; mais, cette discussion politique nous mènerait trop loin et n’est pas de notre sujet.
Ce qui est plus singulier encore, c’est qu’une entreprise qu’on aurait crue bien difficile et impossible même au commencement de 1761, ait été terminée en moins de deux ans, sans bruit, sans résistance et avec aussi peu de peine qu’on en aurait à détruire les capucins et les picpus. On ne peut pas dire des jésuites que leur mort ait été aussi brillante que leur vie. Si quelque chose même doit les humilier, c’est d’avoir péri si tristement, si obscurément, sans éclat et sans gloire. Rien ne décèle mieux une faiblesse réelle qui n’avait plus que le masque de la force. Ils diront qu’ils n’ont fait et n’ont voulu qu’exécuter à la lettre le précepte de l’Évangile : Quand on vous persécute dans une ville, fuyez dans une autre. Mais pourquoi, après avoir oublié ce précepte pendant deux cents ans, s’en sont-ils souvenus si tard ?
Enfin, ce qui doit mettre le comble à l’étonnement, c’est que deux ou trois hommes seuls, qui ne se seraient pas crus destinés à faire une telle révolution, aient imaginé et mis à fin ce grand projet ; l’impulsion générale donnée à tout le corps de la magistrature a été leur ouvrage, et le fruit de leur impétueuse activité. Les hommes, en effet, sont rarement conduits par les esprits froids et tranquilles. La paisible raison n’a point toute seule cette chaleur nécessaire pour persuader ses opinions et faire entrer dans ses vues ; elle se contente d’instruire son siècle à