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refusé d’y renoncer, ce peut être par une délicatesse de conscience toujours respectable, même dans des hommes qui ont tort : en les immolant à la nécessité qu’on a crue indispensable, de ne plus souffrir de jésuites en France, il eût été inhumain de les priver des besoins de la vie, et de leur interdire jusqu’à l’air qu’ils respirent. Au reste, ces réflexions, bien ou mal fondées, n’ont plus lieu dès qu’on permet aux jésuites, sans rien exiger d’eux, de rester dans le royaume.

Après avoir privé la Société de ses biens, il est juste de fournir à ses membres le moyen de subsister, puisqu’on croit pouvoir sans inconvénient les rendre à l’État à qui ils appartiennent.

N’oublions pas, avant de finir ce récit, une circonstance singulière, bien propre à montrer sous son véritable point de vue le prétendu intérêt pour la religion, dont plusieurs de ses ministres cherchent à se parer. Quelques évêques qui résident dans leurs diocèses se joignirent, par des mandements, à l’archevêque défenseur des jésuites ; d’autres évêques (qui ne résident pas) étaient prêts à s’y joindre aussi. Le Parlement fit mine de vouloir renouveler et faire observer à la rigueur les anciennes lois sur la résidence ; alors ces évêques se turent, et leur zèle menaçant expira sur leurs lèvres. Déconcertés et humiliés de leur impuissance contre les ennemis des jésuites, ils chercheront peut-être pour leur dédommagement à se rabattre sur les philosophes, qu’ils accusent bien injustement d’avoir communiqué au Parlement de Paris leur prétendue liberté de penser : déjà même quelques-uns de ces prélats, à ce qu’on assure, ont pris cette triste et faible revanche ; semblables à ce malheureux passant sur lequel il était tombé quelque tuile du haut d’une maison dont on réparait le toit, et qui, pour se venger, lançait des pierres au premier étage, n’ayant pas, disait-il, la force de les jeter plus haut.