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cette Société (comme ailleurs) ne se mêlent de rien, et qui y sont en plus grand nombre qu’on ne croit, n’auraient pas dû, s’il eût été possible, porter la peine des fautes de leurs supérieurs. Ce sont des milliers d’innocents qu’on a confondus à regret avec une vingtaine de coupables : de plus, ces innocents se trouvaient par malheur les seuls punis et les seuls à plaindre ; car les chefs avaient obtenu par leur crédit des pensions dont ils pouvaient jouir à leur aise tandis que la multitude immolée restait sans pain comme sans appui. Tout ce qu’on a pu alléguer en faveur de l’arrêt général d’expulsion prononcé contre ces pères, c’est le fameux passage de Tacite au sujet de la loi des Romains qui condamnait à mort tous les esclaves d’une maison pour le crime d’un seul : habet aliquid ex iniquo omne magnum exemplum (tout grand exemple a quelque chose d’injuste). Ainsi, dans la destruction des Templiers, un grand nombre d’innocents furent victimes de l’orgueil et de la richesse insolente de leurs chefs ; ainsi les désordres qu’on reprochait aux Templiers n’étaient pas l’unique cause de leur destruction, et leur principal crime était de s’être rendus odieux et redoutables. La postérité pensera de même sur le jugement porté contre les jésuites et sur l’exil auquel ils ont été condamnés. On le trouvera dur, mais peut-être indispensable ; c’est ce que l’avenir seul pourra décider.

Au reste, indépendamment de la compassion naturelle que semblaient réclamer les jésuites âgés, malades ou sans ressources, qui, après tout, sont des hommes, il semble qu’on aurait pu distinguer, dans le serment qu’on exigeait, les jésuites profès d’avec ceux qui ne l’étaient pas, et ceux qui avaient déjà renoncé à l’institut d’avec ceux qui y tenaient encore sans y être absolument liés. Qu’on exigeât le serment des jésuites profès dont on voulait se débarrasser, on pouvait juger cette précaution essentielle ; mais