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LE DIX AOÛT

encore et la prompte mise en vente des biens des émigrés. Aux ouvriers et artisans ils faisaient miroiter des mesures contre la vie chère, le cours forcé de l’assignat. À tous ils répétaient que tous les maux dont ils se plaignaient avaient pour cause essentielle l’entente de la Cour avec l’ennemi. Comment les citoyens passifs ne les auraient-ils pas suivis ?

Déjà le meneur girondin Gonchon avait condamné dans sa pétition du 25 juin le titre de citoyen actif « qui substitue au crédit de la naissance l’aristocratie des richesses ». Brissot s’était écrié, le 9 juillet, à un moment où il ne négociait pas encore avec la Cour : « Soyez peuple, éternellement peuple, ne distinguez pas les proprétaires des non-propriétaires, ne méprisez pas les piques pour honorer seulement les uniformes. » Le décret du 1er août, qui prescrivait la fabrication des piques dans chaque commune, avait stipulé qu’elles seraient distribuées à tous les citoyens indistinctement, « excepté les vagabonds et gens sans aveu et personnes notoirement reconnues pour leur incivisme ». Le décret du 3 août avait accordé le droit de citoyen actif à tout soldat qui aurait fait la guerre de la liberté. Chabot avait même essayé de leur faire accorder le droit d’être électeur, mais sans succès.

Cette sollicitude intéressée pour les citoyens passifs ne doit pas cependant nous faire perdre de vue la réalité. Dans la longue liste des morts et des blessés dans l’attaque du château, il est aisé de relever les noms de nombreux prolétaires, plus nombreux peut-être que dans la liste des vainqueurs de la Bastille. Mais, prenons garde que pas plus au 10 août qu’au 14 juillet les prolétaires n’exercent sur les événements une action