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LE DIX AOÛT

la liberté ! n’osant faire un geste sous leurs armes tyrannicides et regardant d’un air d’inquiétude fraternelle tout ce qui les approchait. »

Santerre prit la tête du cortège qui entonna le chant de Rouget de Lisle, qui n’était plus inconnu des Parisiens, Gorsas l’ayant publié dans son Courrier de l’avant-veille. On fit halte devant la mairie. Santerre monta chez Petion et y resta longtemps. On se remit en marche par le Pont-Neuf et le quai de l’École. Fournier voulait qu’on obliquât vers le château. « Santerre dit : Non, non, nous prendrons par la rue Saint-Honoré. Arrivé dans cette rue, reprend Fournier, je me mis à faire défiler du côté du château. Santerre court, gagne la tête, fait faire halte et dit aux Marseillais et aux troupes que l’intention de M. Petion était que les Marseillais allassent se caserner. » Une fois encore Petion avait fait ajourner le grand coup.

Pendant qu’une partie du bataillon prenait possession de la caserne de la Nouvelle-France au faubourg Poissonnière, l’autre partie se rendait à un diner qu’on lui offrit aux Champs-Elysées dans une vaste salle entourée d’un jardin et ayant pour enseigne : Au grand salon du couronnement de la Constitution. Or, par une fâcheuse coïncidence, des gardes nationaux du parti fayettiste ban- quetaient déjà, de l’autre côté de l’avenue, en face, Au Jardin Royal du traiteur Dubertier. Les royalistes, au nombre de 160, la plupart grenadiers des Filles-Saint-Thomas, sortirent les premiers trois par trois. La foule, qui avait accompagné les Marseillais, voulut leur faire crier : Vive la Nation ! Ils crièrent : Vive Lafayette ! Vive le Roi ! Vive la Reine ! La foule leur jeta des pierres, les couvrit de boue. Ils tirèrent leurs sabres. Alors les Marseillais, appelés au secours, s’élancèrent de leur